Je me replonge dix ans en arrière et je me rappelle ce que j’ai vécu. J’étais pharmacien assistant, investi également dans des actions associatives. Je travaillais, je me dépensais sans compter. Quand on est trentenaire, on fonce, on a tout à construire.
Et puis, sans crier gare, un drame est survenu, un coup de tonnerre dans un ciel serein. Ma vie s’est accélérée, tout a basculé, pratiquement du jour au lendemain. Je ne pouvais plus dormir, mon cerveau tournait à plein régime, une perte totale de contrôle. Après plusieurs consultations, après plusieurs traitements, on m’a conduit aux urgences psychiatriques. Angoisse massive, délires de persécution… S’en est suivie une hospitalisation de trois semaines pour un repos forcé. Cortège d’hypnotiques, d’anxiolytiques, de neuroleptiques…
Je pensais que je traverserais cette épreuve en quelques mois. Ceux-ci se sont transformés en années ! J’ai erré pendant quatre ans dans mon existence. Quatre ans durant lesquels j’ai perdu mon job, quatre ans pendant lesquels j’ai perdu ma vie sociale.
L’univers de la psychiatrie est un monde particulier. Les conditions de l’hôpital sont assez déplorables tant pour les malades que pour les soignants. Et puis pendant pratiquement quatre ans, on ne m’a jamais dit de quelle maladie je souffrais. J’ai avancé à l’aveugle. En fait, pas tout à fait, car quand on prend du Risperdal ou de l’Alibify à 30 mg par jour, on se doute que son cas est assez sérieux. Mais je ne suis pas médecin, donc aucune certitude !
Le diagnostic, je l’ai pris en pleine face un matin à 9 h 00, sans ménagement : bipolaire ! On m’a annoncé que je prendrais mon traitement à vie, que je serais reconnu invalide et que la pharmacie n’était plus envisageable. Le coup fut très rude ! Tous mes projets semblaient condamnés d’avance. Et au fond de moi, une pensée a surgi, tel un cri intérieur : « C’est ce qu’on va voir ! » J’ai toujours eu la conviction profonde que je m’en sortirais. Peut-être de l’arrogance ou de l’illusion ? Peut-être la foi en la vie, en sa force ? La foi dans une transcendance ?…
Quelques mois après cette nouvelle, j’ai arrêté mon traitement, d’un seul coup, contre l’avis de mon psychiatre. Deux mois après, j’ai recommencé à travailler comme assistant en officine de ville, soutenu par une titulaire et une équipe prêtes à m’épauler. La solidarité existe dans le métier ! Encore merci à elles ! Et je me suis battu pour retrouver une vie normale, jour après jour, année après année.
Cette maladie, ça fait plus de six ans que je lui ai tourné le dos. C’est vrai que j’ai quitté mon poste parce qu’une saison se finissait, je le sentais. Mais une belle saison ! Il y a quelques mois, j’ai revu mon psychiatre. Nous avons bien discuté ensemble après toutes ces années où nous nous étions perdus de vue. Verdict ? Pas besoin de médicament ! Je suis un mauvais patient pour lui, un rebelle bienheureux ! Et d’ailleurs, il ne comprend pas trop ce qui s’est passé ! Je continue ma route, avec de nouveaux projets en tête. Bien sûr l’amour du métier est toujours là, mais peut-être dois-je l’exercer différemment ?…Alors j’écris et je partage mon histoire avec ceux qui veulent l’entendre…