Lovée dans un méandre de la Moldau, le fleuve emblématique tchèque, Cesky Krumlov vit à l’ombre du plus grand château du pays après celui de Prague… et est aussi la ville la plus visitée par les touristes après la capitale.
En ces temps de Covid, elle a retrouvé un calme plus propice à une visite sereine de son extraordinaire patrimoine, y compris son musée municipal. Ce dernier abrite notamment le mobilier de la pharmacie du Collège des Jésuites, aménagée vers 1720 en style baroque, avec des comptoirs et des étagères en bois mouluré et doré, veillés par la Vierge et plusieurs saints protecteurs. À la même époque, une autre officine se créa en centre-ville. Le tout-puissant prince Schwarzenberg, propriétaire du château dans lequel se trouvait déjà une pharmacie publique, n’apprécia pas cette nouvelle concurrence et fit fermer peu après cette officine municipale. Il est vrai que les habitants de la ville avaient la réputation d’être particulièrement chiches en ce qui concernait leurs dépenses de médicaments. En 1773, les Schwarzenberg profitèrent de l’expulsion des Jésuites promulguée par l’Empereur Joseph II pour fermer là aussi leur pharmacie, qu’ils regroupèrent avec celle du château. Cette dernière y fonctionna jusque dans les années 1950 avant d’être remise au musée.
Les étagères et le comptoir disposent de plus de 70 tiroirs peints renfermant des spécialités, représentant chacun une scène de genre ou un paysage, souvent en rapport avec les médicaments contenus dans ces derniers. C’est ainsi que l’on peut y contempler aussi des vues de contrées lointaines, illustrant l’origine exotique des produits proposés : bien avant l’ère de la communication, on pouvait ainsi, comme avec une photo, exalter l’originalité d’une préparation, aux ingrédients d’autant plus bienfaisants qu’ils ont été recueillis à l’autre bout du monde.
Ces tiroirs se retrouvent dans l’aménagement de la pharmacie de Jindrichuv Hradec, dont le château est, lui, le troisième plus vaste du pays. Un peu plus récente, l’officine conservée au musée dispose d’un mobilier datant du début du XIXe siècle, de facture néoclassique, et a été complétée par de nombreux pots et mortiers recueillis dans d’autres pharmacies. Détail amusant, les flacons et les pots en verres du début du XXe siècle possèdent des étiquettes bilingues, imprimées tête bêche, en tchèque et en allemand. La Bohême, qui faisait partie jusqu’en 1918 de l’Empire austro-hongrois, était officiellement bilingue : on imprimait donc les étiquettes dans les deux langues, et on les collait sur les flacons en mettant à l’endroit soit le texte allemand soit le texte tchèque, en fonction de la majorité linguistique de chaque secteur géographique de la région, voire du client s’il avait commandé directement ses flacons.
L’Europe centrale possède de très nombreuses pharmacies anciennes converties en petits musées, mais la Tchéquie, elle, a plutôt fait le choix d’en réinstaller certaines dans ses musées généraux : on en trouve donc plusieurs autres dans les musées des grandes villes, remises en valeur par des restaurations minutieuses.