Près de la piscine, Julien et quelques amis, dont Gabin, se retrouvent avec plaisir après plusieurs semaines d'échanges limités à Skype ou WhatsApp. Un verre à la main, ils ne peuvent s'empêcher de revenir sur leur expérience des derniers jours.
- Franchement, je me demande pourquoi j'ai fait pharma. Si c'est pour vendre des masques et se faire engueuler à longueur de journée parce qu'on n'a pas ce qu'il faut…, s'agace Marion avant de piocher généreusement des cacahuètes dans la coupelle qui lui a été attribuée. Gestes barrières obligent, chaque invité a son « kit apéro ».
- C'est exactement ce que je me disais. Ras-le-bol des masques. J'ai l'impression d'être un distributeur de masques. Tristan, docteur en pharmacie… et non, docteur en masques.
Les amis rient à la plaisanterie de Titi, le boute-en-train de la promo.
- Faudrait déjà que tu passes ta thèse mon chéri, lui rappelle gentiment Audrey. Et avant ça, il faudrait penser à mettre les saucisses sur le barbecue les gars.
Ignorant la remarque de sa petite amie, Titi continue :
- Si je n'avais pas déjà mon sujet de thèse, je choisirais : « Les masques de protection : la pharmacie face à ses démons ».
- Si je suis ton raisonnement, les masques n'ont rien à faire en pharmacie ? Il s'agit quand même d'un dispositif sanitaire, et qui dit produit de santé dit pharmacien, objecte Julien.
- Tu as vu le désastre, Julien ? Qu'on ne vienne pas me dire qu'on a une valeur ajoutée par rapport aux autres commerces. Tu parles ! Pas plus tard qu'hier, une femme est venue m'en demander, exigeant une boîte de 50 masques. Je commence à lui expliquer, gentiment…
- Gentiment ? Toi ? plaisante Gabin.
- Gentiment, parfaitement. Bref. Elle n'en avait strictement rien à foutre que je lui explique le comment du pourquoi de ces masques. Et surtout qu'elle n'en avait sûrement pas besoin de 50.
- D'accord, mais des clients comme ça, on en rencontre tout le temps, même pour le paracétamol. Combien de fois tu rappelles la posologie alors que tu sais pertinemment que la personne en face ne t'écoute pas ? poursuit Julien. Là où je te rejoins, c'est que la plupart des pharmaciens sont bloqués sur les masques, oubliant tout le reste.
- Cette crise montre aussi la toute-puissance de la grande distribution. Nos syndicats et nos ordinaux ont beau râler, il faut se rendre à l'évidence. Nous ne jouons pas dans la même cour quand il s'agit d'acheter en grande quantité, dans l'urgence, ajoute Audrey. Ce qui manque à notre profession, c'est une unité, une vraie force d'achat au niveau national.
- Tu veux dire une centrale nationale d'achat, qui soit l'intermédiaire entre les plateformes des groupements, les grossistes et les fabricants ?
- Par exemple. Leclerc a des magasins partout en France. Mais le groupe n'a qu'une seule centrale d'achat il me semble, ce qui le rend plus fort auprès du fabricant. Alors que nous, nous sommes 22 000 points de vente, mais dispersés en une cinquantaine de groupements. Ça dilue notre puissance d'achat.
- Et l'éthique dans tout ça ? intervient Marina. Je ne sais pas ce que la pharmacie gagnerait à utiliser les procédés d'achat de la grande distribution, qui ne doivent pas être très respectueux.
Elle évite le regard de Julien. Entre eux, la situation s'est dégradée suite à leur rupture.
(À suivre…)