Vue d’Europe, Singapour évoque un ogre de la finance internationale et du commerce maritime. Une cité-État ultralibérale, cosmopolite et fière de son plein emploi, les yeux rivés sur la Bourse. Aller à Singapour est l’assurance de plonger dans le frénétisme urbain, regard dressé vers les skyscrapers du Central Business District (CBD). Comme toute mégapole, Singapour brille par ses audaces architecturales. Autour de Marina Bay, vaste bassin artificiel conquis sur l’océan, se concentrent les réalisations les plus audacieuses. Premier de la classe, l’hôtel Marina Bay Sands. Cet immense vaisseau de plus de 2 500 chambres, réparties dans trois buildings de 55 étages, est recouvert d’un linteau horizontal abritant la plus haute piscine à débordement du monde (207 m). Un centre de congrès et un shopping mall de 270 boutiques confirment son statut de rendez-vous favori du business bling bling.
Les rives de la Marina abritent aussi les dômes du Theatre on the Bays et la corolle futuriste du ArtScience Museum. Juste à côté, le CBD déploie sa forêt de buildings design, à l’image de la Guoco Tower, plus haute tour de Singapour, à 290 m. L’urbanisme conquérant ne date pas d’hier. Après que le britannique Raffles eut fondé un comptoir commercial en 1819, Singapour s’est parée d’édifices monumentaux de style victorien. On les retrouve autour de la rivière Singapour. Le Concert Hall, la National Gallery, le Victoria Theatre…, ces bâtisses ont assis la suprématie commerciale et politique de la ville, prétexte à toutes les migrations.
Voilà l’autre attrait de la ville : sa multiplicité ethnique. Elle se révèle dans des quartiers communautaires qui transportent dans des univers différents. Katong-Joo Chiat baigne dans le souvenir de la culture peranakan, celle de Singapouriens descendants de Chinois venus de Malaisie dès le XVIe siècle. Surprise devant la beauté des shophouses, maisons colorées dont les rez-de-chaussée couverts d’arcades sont occupés par des boutiques trendy. Little India se déploie autour de ses restaurants communautaires, temples hindous, boutiques de tissus et centres ayurvédiques. Kampong Glam, le quartier malais devenu branché, n’oublie pas sa culture musulmane, avec la mosquée Masjid Sultan et l’ancien palais du sultan. Chinatown, enfin, est le plus grand quartier ethnique. On y retrouve les immanquables restaurants spécialisés, temples bouddhistes et magasins de médecine chinoise.
Une telle pluralité s’affiche dans la cuisine. Car la table est l’un des motifs d’un voyage à Singapour ! Le Guide Michelin distribue depuis des années ses étoiles aux restaurants de la ville, championne d’une cuisine fusion inspirée de sa diversité culturelle. Nul besoin de dépenser des fortunes pour goûter aux saveurs locales : les hawker centres, marchés culinaires couverts débordant dans les rues adjacentes, célèbrent des plats populaires comme les satay, brochettes de viande marinée (au Lau Pa Sat Hawker Centre), les Bak Chor Mee (nouilles au poulet, au Chinatown Complex) ou les Indian rojak (beignets de pâtes, crevettes et pommes de terre, au Tekka Centre)… Une street food accessible à tous, complémentaire de la cuisine élaborée généralement servie dans les restaurants chics des étages hauts des buildings.
C’est là que se prépare l’avenir de la cité. Ce « tigre asiatique » de 6 millions d’habitants a pris le pari de mener de front croissance économique et transition écologique. Tout nouvel immeuble de bureaux doit ainsi compenser en espaces verts la surface perdue au sol. On ne compte plus les étages jardins, les microfermes d’altitude, les murs végétaux… Ainsi de l’Oasia Hôtel, dont la façade jardinée verdit depuis 2016. Ou de l’hôtel ParkRoyal Collection Pickering, forêt verticale avec ses jardins suspendus dans les étages. Dans une ville où 10 % de la superficie est vouée à l’agriculture, les fermes hydroponiques et les restaurants « de la terre à l’assiette » se multiplient.
Le 51e étage du CapitaSpring, gratte-ciel inauguré en 2021, incarne cette transition. Au sommet, à 280 m, Sky Garden, un vaste jardin potager qui est, selon ses promoteurs, la plus haute ferme urbaine au monde, ses produits étant cuisinés par les chefs des restaurants de la tour. Ailleurs en ville, les parcs, les splendides Botanic Gardens et surtout les iconiques Gardens by The Bay témoignent aussi de cette évolution. Sur 100 ha conquis sur la mer, les célébrissimes Supertrees (arbres métalliques géants aux troncs végétalisés) incarnent une nature artificialisée, exaltée par un design remarquable et le show son et lumière quotidien de Garden Rhapsodie. À côté, Flower Dome et Cloud Forest encensent les plantes arides et semi-arides et l’exubérance végétale des tropiques. À voir les Singapouriens accros aux selfies devant ces plantes, on mesure l’appétit de verdure et d’écologie d’une population née dans la jungle… urbaine.