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Philippe Gaertner : les chances à saisir

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Publié le 18/10/2018
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Le Congrès national des pharmaciens se déroulera les 20 et 21 octobre à Strasbourg. À la veille de cette 71e édition, Philippe Gaertner, président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF), l’un des co-organisateurs de l'événement*, explique que, au-delà des difficultés économiques actuelles, des opportunités s'offrent aujourd'hui aux pharmaciens.
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Le Quotidien du pharmacien.- Quels seront les temps forts du congrès de Strasbourg ?

Philippe Gaertner.- Les temps forts s’organiseront principalement autour de trois tables rondes. L’une portera sur les produits de la LPP. Il n’y a pas en effet une réunion à laquelle je participe dans les différentes régions de France sans que les pharmaciens m’interrogent sur ce thème. Aujourd’hui, les confrères sont confrontés à deux problèmes majeurs : l’absence de libre choix du fournisseur par le patient et la spirale négative de baisses de prix. Le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2019 prévoit ainsi pas moins de 150 millions d’euros d’économies supplémentaires sur ce poste. C’est absolument considérable et du jamais vu compte tenu de ce qu’il représente en médecine de ville. Pour l’officine, le niveau de ces baisses de prix est tel que l’on travaille à perte : pour de nombreux produits, comme Free Style Libre, les frais de structure ne sont aujourd’hui plus rémunérés. Au-delà de la LPP, une table ronde traitera de la qualité à l’officine et une autre, de l’interprofessionnalité.

Justement, que pensez-vous du nouvel accord-cadre interprofessionnel (ACIP) ?

La Fédération sera signataire de cet accord-cadre paraphé par l’Union nationale des professionnels de santé (UNPS). Et à partir du moment où un syndicat signe, l’ACIP s’applique à la profession. Pourquoi allons-nous le signer ? Parce qu’il nous paraît essentiel pour prendre le virage ambulatoire dont on parle depuis des années. Cet accord permet en effet à la coordination interprofessionnelle en ville de devenir une réalité. Il faut bien prendre conscience de l’importance donnée aujourd’hui politiquement à la coordination au travers du plan « Ma santé 2022 ». Cela faisait plusieurs décennies qu’un président de la République ne s’était pas saisi directement du sujet de la santé.

N’estimez-vous pas que la pharmacie d’officine est la grande oubliée de ce plan santé ?

L’officine est concernée au travers de l’interprofessionnalité et au niveau des études pharmaceutiques. Mais il est vrai que le plan santé parle peu de pharmacie. Toutefois, notre profession s’inscrit dans le cadre général de ce plan. Par exemple, il fait la part belle à la prévention et l’on sait bien qu’en la matière on attend beaucoup des pharmaciens, en particulier avec la vaccination antigrippale. Donc, « oubliée », peut-être, mais la pharmacie se retrouve dans un certain nombre de sujets, même si elle n’est pas directement citée. Mais cela peut aussi vouloir dire que dans le tourbillon de changements annoncés, une profession pour laquelle on n’envisage pas de modification est plutôt le signe que tout va bien dans son organisation et dans son service rendu.

Vous encouragez donc les confrères à s’investir encore davantage dans la vaccination et l’accompagnement des patients ?

Tout à fait, car ce sont les enjeux de demain. Mais, si tous les indicateurs sont au vert concernant l’implication des confrères dans l’expérimentation de la vaccination à l’officine, je suis en revanche inquiet dans leur engagement en faveur des bilans de médication. Les pharmaciens semblent avoir envie de s’investir dans cette mission, mais le démarrage est lent. Pourtant, alors que l’on parle de plus en plus de mauvaise observance au traitement et de ses conséquences en termes de santé publique, ce que l’on attend de nous est d’associer à la dispensation du médicament, une dispensation accompagnée du patient. Nous devons nous projeter dans ces missions et l’objectif de démarrer 20 bilans avant la fin de l’année est encore tout à fait atteignable par toutes les officines. Et avec la parution du décret « services », plus aucun élément ne doit freiner le développement des nouvelles missions à l’officine.

Qu’attendez-vous de ce décret « services » ?

Il faut le prendre comme l’autorisation pour les pharmaciens de proposer des services rémunérés. Ces services peuvent dès aujourd’hui être facturés aux patients, à condition de bien indiquer leur tarif dans la pharmacie. Les conseils et prestations destinés à favoriser l'amélioration ou le maintien de l'état de santé des personnes que peuvent proposer les pharmaciens sont larges : il peut s’agir de tests de dépistage, de dispensation à domicile, de préparation de doses à administrer (PDA), de télémédecine, voire de bilan de médication pour des personnes qui n’appartiennent pas à la population cible définie par l’assurance-maladie et qui n’ont donc pas de prise en charge.

La télémédecine a-t-elle un avenir à l’officine ?

Elle aura un avenir à l’officine si elle a un avenir dans la médecine. Actuellement, nous travaillons à faire en sorte que la pharmacie soit un établissement au sein duquel on peut pratiquer la télémédecine. Mais pour moi, celle-ci n’aura un intérêt que dans les territoires où les différents acteurs décideront de l’utiliser. Cela ne servira à rien de s’équiper s’il n’y a personne à l’autre bout de la ligne ! Cela doit se réfléchir entre professionnels. Quoi qu’il en soit, l’idée n’est pas pour nous de dire que tous les pharmaciens vont faire de la télémédecine, cela n’aurait aucun sens, mais qu’il ne faut pas rester à côté d'une évolution possible. Pour le moment, nous sommes encore en négociations avec l’assurance-maladie. Les discussions portent notamment sur des aides à l’équipement et une participation à l’abonnement à l'Internet requis. Nous demanderons aussi une rémunération pour la réalisation des actes eux-mêmes.

En ce qui concerne l’économie de l’officine, quel bilan tirez-vous des premiers mois d'application de la réforme de la rémunération ?

Je reste persuadé que la compensation des baisses de prix sera insuffisante. Le prochain comité de suivi des génériques, prévu pour le début du mois de novembre, devrait annoncer de nouvelles baisses qui impacteront l’officine à hauteur de 100 millions d’euros sur 12 mois, sachant qu’un autre comité de suivi se tiendra au printemps. Et cela est sans compter les autres baisses de prix sur les princeps. En face, le changement de rémunération ne permet de compenser qu'entre 70 et 75 millions d’euros. Ce qui signifie que, globalement, nous serons largement en négatif. Selon nos estimations, la perte atteindra 100 millions d’euros en 2018 et autant en 2019, tandis que, parallèlement, les charges continuent à progresser. Nous sommes favorables aux honoraires mais nous restons vigilants : les paramètres sur lesquels reposent les futurs honoraires sont en recul par rapport à 2017. Certes, le nombre de boîtes diminue mais moins que celui des ordonnances ou des prescriptions de 5 lignes et plus.

Tout sera-t-il prêt pour la prochaine étape de l’évolution de la rémunération ?

Cela fait des mois que l’on demande la publication du nouvel arrêté de marge et l’on commence à s’inquiéter du retard. Car quand on voit le cafouillage qui a eu lieu au début de l’année, alors qu’il ne s’agissait que d’une modification de prix, sans arrivée de nouveaux honoraires, on craint de subir de nouveaux retards de paiements en janvier 2019. Il faut maintenant que cet arrêté sorte. Il nous avait été annoncé pour juillet.

Le prochain PLFSS n’est pas fait pour vous rassurer…

Il est en effet très très dur pour l’économie officinale… Le PLFSS 2019 prévoit encore 900 millions d’euros d’économies sur le médicament, assortis de 150 millions d'euros sur les dispositifs médicaux. On ne connaît pas l’impact de ces mesures sur l’officine, car cela dépend des produits qui seront concernés, mais il devrait être de la même ampleur que cette année. Au-delà de l’économie, la disposition prévoyant qu'un patient voulant un princeps sera remboursé sur la base du générique nous inquiète également. Cette mesure va redonner du grain à moudre aux antigénériques. Nous pouvons comprendre la nécessité de réserver la mention NS aux seuls cas médicalement justifiés. Mais attention, car les conséquences peuvent être l’inverse de l’effet recherché. Cette mesure est de nature à créer un reste à charge et à générer des relations conflictuelles entre les pharmaciens et leurs patients, sans améliorer la qualité des soins. On peut même imaginer que l’industrie du princeps demande, par la suite, de baisser le prix de son médicament, ce qui reviendrait à la mise en place d’un TFR.

Aujourd’hui, la tension économique reste forte. Les mesures du PLFSS touchent majoritairement les officines qui ont fait le choix du « pharmacien plus professionnel de santé » car les baisses de prix concernent essentiellement des traitements chroniques. À côté de cela, on voit bien que des opportunités s’offrent à nous. Il ne faut pas les laisser passer.

*Le Congrès national des pharmaciens est co-organisé par la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF), l’Association de pharmacie rurale (APR) et l’association de formation continue UTIP.

Propos recueillis par Christophe Micas
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Source : Le Quotidien du Pharmacien: 3466