Un quart de siècle après son apparition, le réseau des groupements de pharmacie serait-il peu mature comparé aux autres canaux de la distribution ? C’est en tout cas le constat résultant d’une récente enquête réalisée par « Les Échos Études » auprès de 22 groupements. Intitulée « Les perspectives des groupements et des enseignes de pharmacie. L’enseigne est-elle l’avenir de l’officine ? » (1), l’étude souligne ainsi l’hétérogénéité des structures, tant dans leur nombre d’adhérents que dans leur couverture géographique. « Cela s’explique à la fois par un certain conservatisme de la profession, encore très attachée au mode d’exercice du commerce indépendant, et à une réglementation stricte qui éloigne de plus en plus la pharmacie des évolutions actuelles de la distribution de détail et d’e-commerce », constate Hélène Charrondière, directrice du pôle Pharmacie-Santé des « Échos Études ».
Et si, à trop vouloir protéger la profession officinale de la concurrence externe, le législateur prenait le risque de creuser l’écart entre les pharmaciens, les nouvelles attentes des clients et des circuits concurrents de plus en plus offensifs ? Hélène Charrondière fait allusion aux programmes de fidélité, à la personnalisation de l’offre e-couponing et au paiement mobile « freinés par la réglementation en pharmacie, alors que cette dématérialisation permet dans les autres canaux de distribution de proposer plus de services et une offre personnalisée ». Sans compter l’avantage pour les enseignes de recueillir des données encore plus riches sur les comportements d’achats.
Concernant les enseignes, l’enquête relève leur faible représentation : près d’un quart des groupements étudiés ne possède pas d’enseigne et seulement 30 % des officines adhèrent à ce concept. L’étude y voit là un autre marqueur de la faible maturité du réseau, le positionnement et l’offre des enseignes de pharmacies répondant aux défis auxquels la profession est confrontée. « Elles ont une vision claire de l’officine de demain, proposent une offre complète de services aux adhérents, anticipent pour certaines le virage digital », énumère Hélène Charrondière.
Des adhérents indisciplinés
L’auteur de l’étude regrette cependant que, apparues il y a une dizaine d’années en réaction à la menace des autorités européennes sur les conditions d’exercice, les enseignes restent en retrait, peinant à passer d’un mode défensif à un mode offensif. « Si elles n’ont pas encore pris de positions fortes sur le marché officinal, c’est qu’elles sont, d’une part, freinées par l’impossibilité actuelle de faire de la publicité auprès des consommateurs, et que, d’autre part, les pharmaciens adhérents ne sont pas suffisamment disciplinés. »
Les taux d’adhésion au concept d’enseigne traduisent cette frilosité. Sur les 17 groupements étudiés ayant développé une enseigne, moins de la moitié recueille un taux d’adhésion de 100 % de la part de leurs adhérents à ce concept. Dans ces conditions, les enseignes, aussi intelligentes et visionnaires soient-elles, peuvent-elles réussir leur percée au sein d’une profession qui n’est pas prête à adhérer massivement à une organisation en commerce associé ?
Manifestement la profession, qui identifie pourtant les groupements comme le meilleur soutien pour relever ses défis, tarde à faire évoluer sa forme actuelle d’organisation. Un paradoxe que ne manque pas de relever Hélène Charrondière : « Lorsqu’on interroge les pharmaciens titulaires, plus d’un tiers affirme que leur groupement est l’acteur qui les accompagne le mieux pour faire face aux évolutions actuelles de la profession. Loin devant les syndicats professionnels et l’Ordre (2). »
Il faut cependant rendre justice aux groupements. S’ils marquent du retard à se structurer en enseignes, ils ont franchi un pas important avec la création de leur syndicat Federgy, essentielle pour porter une voix commune auprès des autorités de santé, des politiques et des médias. « Cette étape sera-t-elle pour autant suffisante pour faire évoluer la profession et moderniser les conditions d’exercice ? », s’interroge l’auteur de l’étude, convaincue que la rupture viendra du changement de modèle économique de la profession.
(2) Source : « Les Échos Études » et Celtipharm, enquête auprès de plus de 400 pharmaciens d’officine (janvier 2015)