Toute une carrière sur le glutamate et les récepteurs métabotropiques couplés aux protéines G (mGluR), ce n’est pas banal. Le Pr Jean-Philippe Pin, qui dès 1985 a découvert ces récepteurs a eu la capacité rare de garder le cap pendant trente ans. Performance supplémentaire, il l’a fait au sein du même laboratoire à Montpellier devenu l’Institut Génomique Fonctionnelle de Montpellier (IGF) qu’il dirige aujourd’hui.
Et si la passion qui l’anime y est pour beaucoup, rien n’aurait été possible sans une extrême adaptabilité scientifique. « Parfois on dit qu’il faut changer de sujet, explique le Pr Pin, directeur de recherche au CNRS, co-directeur de l’équipe « Neurorécepteurs, dynamique et fonctions » et directeur du laboratoire coopératif CisBio Assays. Pour rester sur le glutamate, il a fallu s’adapter et suivre les évolutions technologiques. Je suis ainsi passé de la pharmacologie à la "papa", à la génétique, à la biologie cellulaire, à la biophysique, puis aux biotechnologies et à la bioingéniérie. » Car ces mGluR, dont il a prouvé le rôle sur la plasticité cérébrale et la mémorisation, ont tout pour être une cible de choix pour l’industrie pharmaceutique.
Il ne se destinait pourtant pas à la recherche, la découverte du glutamate l’a fait changer d’avis. « À mon entrée à Normale Sup, je voulais enseigner la biologie, explique le chercheur. J’ai toujours été passionné par le monde vivant, les petites plantes et les insectes. Et puis il y a eu la découverte des psychotropes dans les cours de Philippe Ascher et Marie-Jo Besson. C’est là que j’ai commencé à m’intéresser aux neuromédiateurs, à ces petites molécules qui agissent sur notre comportement et notre humeur. Je me suis pris au jeu. »
Maladies neurologiques ou psychiatriques
Au début des années 1980, le glutamate faisait beaucoup parler et commençait à mettre en effervescence les scientifiques. « Tout le monde n’était pas convaincu de son rôle de neuromédiateur, se souvient le Pr Pin. À côté de son action excitatrice classique, nous avons mis en évidence un autre type d’action, qui ne passait pas par les canaux ioniques : les récepteurs métabotropiques couplés aux protéines G (mGluRs). Ces 8 récepteurs ne sont pas directement impliqués dans la transmission synaptique. » Il entre au CNRS en 1988 et rejoint les États-Unis pour effectuer un postdoc au Salk Institute en Californie avec l’objectif d’identifier les gènes de ces récepteurs. Devancé de peu par une équipe japonaise, il se réoriente vers le décryptage de leurs mécanismes d’action. « Ces récepteurs sont des cibles intéressantes pour les maladies neurologiques ou psychiatriques, explique-t-il. Je joue mon rôle d’amener des connaissances à l’industrie pharmaceutique. Ces RCPG ont beaucoup intéressé avec des essais jusqu’en phase 3. Pour l’instant, aucun n’a abouti. Mais j’y crois. » Grâce au développement de nouvelles technologies, l’équipe a décrit de nouveaux concepts valables également pour d’autres RCPG, notamment ce qui concerne leur association en dimères et oligomères ou leur fonctionnement asymétrique.
Le Pr Pin a mis en place d’autres outils pour la recherche pharmaceutique. « Dès les années 2000, nous avons collaboré avec une société de biotechnologie, spin-off du CEA, poursuit-il. Cette société Cis-Bio est un des deux leaders mondiaux qui fournit les laboratoires en kits de criblage. Il s’agit de mettre à disposition une plate-forme de services, pour des tests diagnostiques ou de criblage sur de petites molécules ou des anticorps. Cela va bien au-delà des récepteurs pour le glutamate. »
Aujourd’hui l’industrie pharmaceutique s’intéresse beaucoup au développement d’anticorps à visée thérapeutique. « Dans ce cadre, nous travaillons actuellement au développement d’anticorps capables de réguler l’activité des mGluRs, explique-t-il. Nous étudions avec les industriels le potentiel possible de tels anticorps pour des applications thérapeutiques ou diagnostiques. D’un autre côté, notre équipe montpelliéraine est en train d’explorer un autre domaine, l’optopharmacologie. » Il s’agit de molécules qui « sont activées ou inactivées par la lumière, poursuit-il. La difficulté, c’est d’amener la lumière dans le cerveau. Sur le modèle de l’électrostimulation profonde maintenue en permanence dans la maladie de Parkinson, cela pourrait se faire à l’aide de fibres optiques à demeure à un endroit précis. C’est actuellement en cours de développement chez l’animal ».