Des réponses, l’équipe du Pr Guido Kroemer, qui compte à son actif plus de 900 publications dans les plus grandes revues scientifiques, en a apporté plus d’une. Pourtant, « dans le processus scientifique ce n’est pas si important de trouver des réponses, estime un brin provocateur le Pr Guido Kroemer, praticien hospitalier à l’hôpital européen Georges-Pompidou et professeur à l’université Paris-Descartes, directeur de recherche à l’INSERM et au Gustave Roussy Cancer Campus. Ce qui compte le plus c’est d’inventer des questions, de poser les bonnes questions ».
Ce questionnement sans interdit, comme démarche fondamentale, explique beaucoup du parcours exceptionnel de ce médecin chercheur d’origine allemande à la double nationalité espagnole et autrichienne, qui se qualifie lui-même d’« hybride européen ». Avec sa grande équipe de 45 personnes, ce n’est pas un, mais plusieurs changements de paradigme qu’il a proposés en biologie cellulaire. Trois grands domaines de recherche fondamentale ont ainsi connu une véritable révolution : l’apoptose, l’autophagie et la réponse immunitaire liée à la mort des cellules tumorales.
La cellule stressée entre la vie et la mort
« Au début de ma carrière, je travaillais sur une thématique très différente, la déplétion des cellules T dans le contexte de l’autotolérance, se souvient-il. La question de l’induction de l’apoptose de ces cellules m’a fait me recentrer dès 1993 sur la mort cellulaire. Pendant une dizaine d’années, nous avons étudié les mécanismes de décision entre la vie et la mort d’une cellule stressée. »
La question était de situer le point de non-retour qui conduit la cellule à la mort. Très vite en 1994, son équipe montre que cela se joue au niveau de la mitochondrie. « La perméabilisation de la membrane mitochondriale est le point de non-retour du processus létal, et ainsi définit l’entrée en apoptose, détaille le chercheur. Pour être précis, on peut distinguer la mort cellulaire programmée, celle du tissu adulte et qui est inscrite dans le développement, et la mort cellulaire régulée, qui correspond à la réponse au stress cellulaire. Il y a aussi la mort accidentelle, non régulée en réponse à un stress chimique ou physique ; il n’y a pas le temps pour le changement morphologique caractéristique de l’apoptose, réduction de la taille du noyau puis fragmentation. »
La mort cellulaire programmée, jusque-là comprise comme un processus catabolique géré par des nucléases et des protéases, se révèle être un processus sous contrôle mitochondrial, via l’action de ligands sur des récepteurs spécifiques. « Cela a des implications pour la manipulation thérapeutique de la mort cellulaire, dont l’induction de la mort cellulaire des cellules cancéreuses par la chimiothérapie et la prévention de la mort cellulaire non souhaitable lors d’un accident vasculaire cérébral ou d’un infarctus », explique l’équipe. L’inhibition de l’apoptose par des médicaments doit s’effectuer en premier lieu au niveau de la mitochondrie.
Pour l’autophagie, l’équipe montre que cette autodestruction localisée est une réponse à un stress qui évite à la cellule une autre réponse, celle de mourir. En débarrassant la cellule d’organites endommagés dans les lysosomes, ce processus de « nettoyage » lui permet de renouveler le cytoplasme, de mobiliser ses ressources et d’échapper à l’apoptose. « C’est un mécanisme antivieillissement », indique le Pr Kroemer. Quand l’autophagie est induite à l’échelle d’un organisme entier, par le jeun ou pharmacologiquement, l’espérance de vie est allongée comme cela a été démontré chez la souris.
Un dogme remis en cause
Le sujet sur lequel l’équipe travaille actuellement, « et donc le plus passionnant », a remis en cause le dogme que l’apoptose n’est pas immunogène. L’équipe du Pr Kroemer montre que les cellules tumorales mourantes peuvent déclencher une réponse immunitaire et que ce phénomène peut augmenter l’efficacité des chimiothérapies, comme dans les cancers du sein, du côlon ou de sarcomes. « On peut établir un parallèle avec les maladies infectieuses, explique-t-il. Quand les cellules infectées par un virus meurent, elles envoient des signaux de détresse qui mobilisent le système immunitaire contre l’agent infectieux. Pour être efficaces le plus possible, les chimiothérapies devraient être immunogènes de façon utile. Cela ouvre la voie à de nouveaux médicaments et à de nouvelles associations. » Ce vaste champ de recherche, il y travaille notamment avec le Dr Laurence Zitvogel, cancérologue et chercheur de renom à l’Institut Gustave Roussy, sa compagne dans la vie. « L’autre chose importante dans le processus scientifique, ce sont les aventures collectives que l’on vit pour chercher des réponses. Plus la réflexion est ouverte aux collègues, aux scientifiques, aux amis, plus vite les solutions arrivent », conclut-il.