MÊME SI LES FORMES traditionnelles de médicaments, comprimés et gélules, restent essentielles, les progrès de la galénique sont au cœur d’avancées thérapeutiques. C’est par exemple le cas de la vectorisation. Son objectif est l’amélioration du ciblage (ou « targeting ») du principe actif. Patrick Couvreur, directeur de l’unité physico-chimie, pharmacotechnie, biopharmacie de Châtenay-Malabry a, le premier, montré qu’il était possible d’utiliser des capsules submicroscopiques d’une centaine de nanomètres pour permettre la pénétration intracellulaire de médicaments (1). Depuis cette date, ce chercheur n’a cessé de perfectionner la vectorisation à l’aide de nanoparticules. Sa découverte la plus récente est la « squalénisation ».
Le squalène, un lipide naturel, précurseur de la biosynthèse du cholestérol, est très répandu dans les mondes végétal et animal. Sa dynamique très flexible et compacte permet d’obtenir des nanoparticules en couplant cette molécule à des analogues nucléosidiques à activité anticancéreuse ou antivirale. Cette squalénisation aboutit à des molécules beaucoup plus actives. De plus, Patrick Couvreur a pu montrer, dans une étude par cryomicroscopie, diffraction et modélisation moléculaire, que ces structures dérivées de ce lipide possèdent la propriété de s’autoassembler sous forme de nanoparticules en milieu aqueux. Cela rend possible l’administration par voie intraveineuse des médicaments ainsi vectorisés.
Des applications concrètes, notamment en cancérologie.
Cette propriété a été appliquée à un anticancéreux, la gemcitabine, un analogue de la déoxycytidine, antimétabolite spécifique de la phase S du cycle cellulaire. Les nanoparticules de SQgem obtenues après encapsulation sont beaucoup plus actives que la molécule non « squalénisée » sur des lignées tumorales résistantes à la gemcitabine. Cela a été démontré in vivo sur des modèles de tumeurs expérimentales murines. L’augmentation de l’activité des nanoparticules de SQgem a bien été confirmée et des essais de traitement par voie orale ont également été concluants. Les premières études toxicologiques n’ont, par ailleurs, pas mis en évidence d’accroissement des toxicités hématopoïétique et hépatique du produit. Ces observations ont permis d’envisager la squalénisation pour contourner des mécanismes de résistance aux anticancéreux. Le concept de squalénisation a été appliqué à un autre analogue nucléosidique, la cytosine arabinoside, et à trois analogues nucléosidiques à activité antivirale, le ddI, le ddC et l’AZT. Des résultats spectaculaires ont pu être obtenus in vitro sur culture de cellules, mais aussi in vivo sur différents cancers expérimentaux (2).
L’équipe de recherche de Patrick Couvreur a réalisé de nombreux essais prometteurs démontrant que la squalénisation est une véritable innovation thérapeutique en permettant de mettre au point des nanoparticules avec le médicament lui-même. Les travaux de ce chercheur dans la recherche et le développement des nanomédicaments, à l’interface de la physique des colloïdes, de la physico-chimie des polymères et de la pharmacologie, ont été matérialisés par sa nomination à la chaire d’« innovations technologiques » (2009-2010) du Collège de France.
(2) Couvreur P et coll. Squalenoyl nanomedicines as potential therapeutics. Nano Lett 2006;6(11):2544-8.