C’est l’une des surprises de cette campagne électorale : la santé monte à la tribune de l’élection présidentielle. Jamais, en effet, il n’aura été autant question de la santé des Français et de leur système de soins dans les discours des candidats. Autre fait inédit, ces programmes évoquent, pour certains de manière très détaillée, les mesures préconisées dans le secteur du médicament.
Parmi elles, la vente des médicaments à l’unité. Si ce dispositif ne fait pas l’unanimité de la profession, il est en revanche développé par trois candidats comme l’un des moyens pour réaliser des économies. Pour Emmanuel Macron, « il faut vendre les médicaments à l’unité pour mettre fin au gâchis, pour le porte-monnaie des Français et pour les comptes publics ». « Une expérimentation a déjà été lancée », rappelle-t-il. Mais le candidat de « En marche » exhorte à « aller beaucoup plus vite. Cela demandera une adaptation importante pour les industriels et les pharmaciens ».
Le gâchis est également l’argument retenu par Jean-Luc Mélenchon, candidat de « La France insoumise » qui pointe le conditionnement des médicaments comme source de ce gaspillage. Marine Le Pen est la plus vindicative. Celle qui avait déjà déclaré que la vente de médicaments à l'unité permettrait de lutter contre les trafics, revient à la charge. Il suffirait, suggère la candidate du Front National, « d’imposer aux laboratoires l’adaptation de leurs chaînes de production ».
Rien d’étonnant à ce que ces programmes et, avec eux, leurs auteurs, se fassent retoquer par le LEEM. « Cela n’a aucun sens », a récemment lancé Patrick Errard, président du LEEM, passablement agacé. L’idée est jugée d’autant plus absurde que le nombre de comprimés par boîte en France est déterminé par la Haute Autorité de santé (HAS). « Il correspond donc à une posologie donnée, à laquelle le médecin prescripteur doit se référer. À part compliquer la vie des patients et des pharmaciens d’officine, et rendre bizarre le système de distribution du médicament en France, je ne vois pas quel est le sens de cette mesure », rappelle Patrick Errard.
Hostilité de la profession
Le dessein de l'expérimentation (1), lancée par le ministère de la Santé et soutenue par l’Ordre national des pharmaciens, était justement de prouver que des économies étaient possibles dans cette lutte contre la surconsommation et la mauvaise observance, notamment des antibiotiques.
La méthode a laissé dubitatif plus d’un pharmacien. Les enquêtes menées par « le Quotidien du pharmacien » (2) ont mis en évidence une certaine hostilité de la profession. Elle s’est confirmée au fil du temps, les pharmaciens inclus dans l’expérimentation ayant pointé du doigt le manque de traçabilité et les risques d’erreurs avec la manipulation artisanale des médicaments.
L’expérimentation a divisé les instances syndicales de l’officine, et la dispensation à l’unité continue aujourd’hui d’alimenter la polémique. La Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF) s’est déclarée favorable à cette mesure anti-gaspillage, sous certaines conditions. Quant à l'Union nationale des pharmacies de France, (UNPF), Jean-Luc Fournival, son président, déclarait récemment dans la presse nationale que « la délivrance à l’unité peut être très intéressante économiquement mais aussi en termes de sécurisation du médicament ou d’observance ». L’Union des syndicats de pharmaciens d’officine, qui avait appelé au boycott dès 2014, maintient en revanche fermement son opposition et souhaite que le pharmacien adapte lui-même la durée du traitement de l'antibiotique.
On attend maintenant les suites du rapport d’évaluation de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM). Remis en février 2016 au ministère de la Santé, il est, affirme-t-on à l’INSERM, depuis un an sur le bureau de Marisol Touraine. Dans un entretien exclusif, son co-auteur nous en dévoile les grandes lignes.
1) Expérimentation sur un an sur 100 pharmacies (deux cents patients chacune), dont 75 expérimentatrices et 25 « témoins » concernant la délivrance à l'unité de 14 antibiotiques.
2) Enquêtes Call Medi Call pour « le Quotidien du pharmacien » en mars et en juin 2014.