CHIRURGIEN urologue de formation, diplômé de l’ENA, HEC et Sciences-Po, cofondateur de Doctissimo.fr et aujourd’hui président de DNA Vision, une société belge de séquençage de génome, Laurent Alexandre multiplie, ces derniers mois, les conférences au cours desquelles il fustige l’attentisme de la France face au tsunami technologique qui va bouleverser le système de santé. Invité du 3e Welcoop Forum, au Palais des Congrès de Paris, l’auteur de « La mort de la mort », publié en 2011, a de nouveau revêtu son habit de Nostradamus de la techno-médecine.
Son discours prospectiviste est rôdé : la révolution NBIC est bel et bien en marche. Nanotechnologies, biotechnologies, intelligence artificielle, sciences cognitives, ne relèvent plus du domaine de la science-fiction. « Ces technologies sont arrivées à maturité et constituent la réalité de la médecine des années qui viennent. Le séquençage ADN, c’est maintenant. La première fois, cela a coûté 3 milliards de dollars, mobilisé 20 000 personnes et duré treize ans. La deuxième fois, il a fallu six mois et 1,5 milliard de dollars. Aujourd’hui, un séquençage coûte 1 000 dollars et tombera dans les prochains mois à 100 dollars. La thérapie génique et les cellules souches, c’est pour 2020 et la nano-médecine, pour 2025, soit demain. »
Premiers à relever le pari des NBIC, les États-Unis avec les géants de la Silicon Valley (et notamment Google) devant la Corée du Sud et la Chine. « La lutte contre la mort est en train de devenir l’objectif majeur des géants de la Silicon Valley. » La stratégie de développement de Google l’illustre bien. Après avoir investi dans le séquençage ADN avec sa filiale 23andMe, le géant du Net a créé, en septembre 2013, la start-up Calico, dont le but est de lutter contre le vieillissement et les maladies associées, avec pour objectif d’augmenter l’espérance de vie de vingt ans d’ici à 2035. Par ailleurs, Google a racheté huit des plus grandes entreprises de robotique au monde.
« Le pouvoir médical est en train d’être redistribué en faveur des technologues. Des géants issus du monde de l’informatique et de la technologie deviennent des acteurs médicaux avec des milliards de dollars à leur disposition et les meilleurs spécialistes mondiaux. Les NBIC sont en train de structurer le XXIe siècle comme l’aéronautique, le téléphone, l’automobile, la chimie, l’électricité ont structuré le XXe siècle. La France était leader dans ces technologies il y a cent ans, elle est inexistante sur les NBIC », déplore l’expert.
Et le pharmacien dans tout ça ?
« La génomique va transformer un médicament blockbuster en médicament de niche », souligne Laurent Alexandre. La stratégie de développement du puissant Google dans le domaine de la santé ne sera pas sans conséquence pour les pharmaciens. « Grâce aux Google glass, nous saurons où le Doliprane est le moins cher dans un rayon de cinq kilomètres », cite pour exemple Laurent Alexandre. Avec la Google Car, projet de voiture autonome développé par Google, « le circuit du médicament pourrait être rapidement automatisé ». Autre innovation du géant du Net, largement médiatisée, les google lens, lentilles de contact intelligentes et connectées qui permettront aux personnes diabétiques de mesurer leur glycémie. Sans oublier, Google Genomics, l’applicatif qui permet d’analyser le génome intégralement. « Le séquençage ADN d’un individu représente 10 000 milliards d’informations. Google est le seul capable de traiter ce déluge de données. La valeur économique est en train de migrer du médicament vers des algorithmes, le data mining et la technologie. Ce toboggan de la valeur vers le data va être extrêmement rapide », avertit Laurent Alexandre. Et d’appeler les pharmaciens à réfléchir à leur survie économique dans ce monde technologique qui déferle.