« DES PHARMACIENS de centre-ville qui vivent avec moins de 1 000 euros par mois et ne savent pas comment s’en sortir, ce n’est pas rare », affirme Jean-Pierre Lachèze, coprésident de la Fédération des Syndicats Pharmaceutiques d’Aquitaine.
En effet, les 1 279 officines d’Aquitaine sont loin d’être toutes en bonne santé et collent aux statistiques nationales : 15 % révèlent un exercice fiscal déficitaire, la moitié une trésorerie dans le rouge.
« Ces dernières années, nous avions une à deux procédures de redressement judiciaire par an, souligne Pierre Bèguerie, président du Conseil Régional de l’Ordre des Pharmaciens d’Aquitaine. En 2010, nous en sommes déjà à huit ! » L’inquiétude est palpable chez de nombreux titulaires pris à la gorge par un métier qui a beaucoup changé. « Nous rencontrons beaucoup de confrères « cassés » ou agressifs qui en veulent à tout le monde, y compris au syndicat » signale Jean-Pierre Lachèze.
Et les cas dramatiques ne manquent pas, comme celui de cette pharmacienne chevronnée, contrainte de vendre son officine béarnaise pour repartir, à 58 ans, comme adjointe ; ou ce titulaire du Pays Basque, lui aussi très expérimenté, acculé à payer en liquide chacune de ses livraisons.
Centres villes : officines en danger.
La dégradation des conditions économiques alliée à la surdensité d’officines en cœurs de villes, crée des situations tendues. Exemple à Bordeaux : la ville a vu se succéder une période de créations par dérogation, appuyées par l’ancien maire et surnommées « pharmacies Chaban », puis un lent départ de population vers les banlieues (Voir aussi l’étude EMS sur la ville en page XX). Résultat : Dans certains quartiers, on compte 1 officine pour seulement 1 500 habitants. Mais le phénomène n’épargne aucune des grandes villes de la région : Bayonne, Pau, Dax, Mont-de-Marsan, Agen…
« À Bayonne, celle qui fut l’une des plus grosses pharmacies des Pyrénées Atlantiques est aujourd’hui devenue la dernière, souligne Pierre Bèguerie. La solution est le regroupement, car les petites officines ne peuvent répondre aux exigences que l’on attend aujourd’hui des pharmacies. »
Pourtant, les tentatives sont timides : moins d’une dizaine de candidats au regroupement l’an dernier. « L’individualisme, la complexité des démarches, la difficulté de procéder à une opération équitable et surtout, en centre-ville, la difficulté de trouver un lieu qui s’y prête en terme de surface, d’accessibilité, expliquent pourquoi il y a si peu si peu de regroupements » indique Jean-Pierre Lachèze.
Max Dalier, pharmacien à Mauléon (Pyrénées Atlantiques) et auteur d’un regroupement réussi de 3 officines (cf. encadré) pointe un autre obstacle : la frilosité des experts comptables. « Il faut un cabinet qui connaisse le métier ; j’ai vu plusieurs regroupements ne pas aboutir parce que l’expert-comptable disait « vous ne passerez pas », alors que l’affaire était viable ».
D’autres proposent des solutions plus radicales, comme ce titulaire bordelais : « Certaines petites pharmacies de centre-ville, plus proches de l’épicerie de quartier que d’une entreprise de santé, dévalorisent l’image de la profession. Pourquoi ne pas exiger une « mise aux normes » (surface, zone de chalandise) lors des cessions quitte à voir disparaître certaines officines ? À vouloir défendre toutes les pharmacies, la profession n’a pas trouvé de solution, alors c’est l’État qui nous l’impose. Et au lieu de pénaliser les petites structures, ce sont les officines qui ont investi qui sont menacées. »
Pharmacies discount : le reflux ?
Autre problème affectant les centres villes aquitains : le discount. « On trouve une ou deux pharmacies discount dans chaque grande ville, indique Pierre Bèguerie. Par leur dumping, elles déstabilisent les autres officines. C’est ce que j’appelle une déviance. Ces grosses structures devant lesquelles il y a la queue ont un exercice professionnel qui n’est pas le nôtre. »
« Avec plus de 9 millions d’euros de CA, la principale pharmacie discount de Pau écrase ses voisines qui ne dépassent pas 1,5 million d’euros » remarque ce pharmacien des Pyrénées Atlantiques.
Mais le phénomène est peut-être en train de refluer. « Comme les parapharmacies jadis, je crois que le discount est un phénomène déstabilisant mais à évolution rapide et courte, indique Pierre-Yves Corgne, président régional du groupement Giphar**. Déjà plusieurs de ces officines ont des problèmes. À Agen, une de ces pharmacies a été contrainte d’abandonner son enseigne. »
Baisse des marges, concurrence sauvage, étroitesse des zones de chalandise… ces problèmes influent sur les ventes d’officine : « Le marché demeure dynamique, explique Hélène Gautheron, négociatrice chez Pharm’Aquitaine. Bordeaux reste une ville attractive, mais le différentiel entre le prix souhaité par le vendeur et la capacité de financement par l’acheteur est de plus en plus grand. Et la durée de transaction plus longue. Les difficultés de cession concernent surtout les petites officines peu rentables qui auparavant étaient achetées pour des transferts qui sont aujourd’hui plus difficiles. »
Désertification : menace ou opportunité.
Dans les zones rurales de l’Aquitaine, la tension pour la survie de l’officine est moins âpre. Néanmoins, à terme, la désertification médicale fait planer une sourde menace. Une étude diligentée par le Conseil Régional pointe 36 cantons avec une seule pharmacie dont 27, avec un critère de fragilité : moins de 2 500 habitants, manque de médecins généralistes ou d’infirmiers libéraux. D’ici quelques années, le vieillissement de la population, le départ en retraite de nombreux médecins, et le faible intérêt des jeunes médecins pour les cantons ruraux, risquent de noircir le tableau.
D’où la création de maisons médicales rassemblant médecins et infirmiers libéraux. Mais l’initiative qui ne va pas sans poser problème. D’abord, parce que les pharmaciens sont souvent absents de la réflexion. Ensuite parce que ces structures peuvent créer des déséquilibres : « A Nérac (Lot-et-Garonne), souligne Pierre-Yves Corgne, la création évoquée d’une maison médicale pourrait, selon son lieu d’implantation, déstabiliser les 4 pharmacies de cette ville de 7 000 habitants. »
« Il faut bien réfléchir, met en garde Pierre Bèguerie, pour éviter que les officines ne soient victimes de leur répartition harmonieuse sur le territoire. » D’autres suggèrent la création en zone rurale de « pharmacies mères filles » rassemblant plusieurs points de vente isolés sous une entreprise.
Néanmoins, le vieillissement de la population et la baisse du nombre de médecins ouvrent aussi de belles perspectives (confortées par la loi HPST) aux pharmaciens d’Aquitaine. Le boum des soins à venir passera par eux : « référents » auprès des EHPAD, « correspondants » au cœur d’un réseau de soin, ils ont de belles cartes à jouer, même s’ils n’ont pas tous les atouts en mains, en particulier celui des moyens affectés à leurs nouvelles missions.
Pour cela, il faudra jouer collectif (regroupements, coopération entre profession de santé…). Ce qui n’est pas évident dans une région où les taux de syndicalisation (70 %) ou d’adhésion à des groupements, demeurent stables. Mais terminons sur un satisfecit : « Nous sommes une des régions les plus avancées sur le dossier pharmaceutique avec plus de 75 % d’officines équipées » souligne Pierre Bèguerie. Un président de l’ordre qui n’a pas trop à faire les gros yeux « au plan disciplinaire, on note peu d’affaires, les pharmaciens aquitains font bien leur métier. »
** 150 adhérents en Aquitaine-Midi-Pyrénées