En avril 1916, un pharmacien, resté hélas anonyme, y publie son « carnet de route », qui commence par une description de la fameuse « Voie Sacrée », la route reliant Bar-le-Duc à Verdun. Il y voit « une chaîne sans fin de camions qui, à perte de vue, au gré des ondulations du terrain, se déroule sans arrêt, jour et nuit, dans les deux sens ». La nuit, les convois circulent tous feux éteints par crainte des bombardements, et notre pharmacien finit par arriver à Verdun, dans une obscurité totale. Il doit ensuite rejoindre l’ambulance (l’hôpital de campagne) auquel il est affecté un peu plus loin, qu’il atteint sous un bombardement incessant, « feu d’artifice ininterrompu qu’accompagne un grondement terrible et sinistre ».
Dans cette ambulance déjà remplie de blessés, chaque médecin a un rôle précis à jouer, mais « celui du pharmacien est plutôt indéterminé : il sera tel que celui-ci le concevra ». L’auteur du texte va donc se consacrer à la préparation des solutions antiseptiques et des médicaments d’urgence, l’assainissement des locaux et la désinfection, mais participera aussi au triage et à l’évacuation des blessés, tout en assurant « le service des piqûres préventives de sérum antitétanique, heureusement distribué en quantité abondante ».
Courage et abnégation
S’il souffre du manque de sommeil aggravé par le bruit continuel des bombardements, ses « misères » ne sont rien auprès de celles des blessés qui arrivent, « livides, sanglants, avec des pansements de fortune faits d’admirable façon par les médecins des postes de secours ». Le passage sur la table d’opération constitue pour eux l’épreuve suivante, subie avec courage, avec de la reconnaissance pour le médecin mais aussi pour l’infirmier qui, juste avant l’opération « fait couler entre leurs lèvres pâlies quelques gorgées de champagne », parfois le seul anesthésiant qui puisse leur être administré… Il rend compte de leur courage et de leur abnégation, citant des mutilés dont les souffrances sont apaisées par la fierté d’avoir servi la Patrie, sans que l’on puisse, aujourd’hui, faire la différence entre l’héroïsme du récit et la réalité des propos tenus. En effet la censure était stricte pour toutes les publications parues « en direct » pendant le conflit, ce qui a fait disparaître de nombreux textes critiques ou évoquant le désespoir des blessés… sans rien enlever, il est vrai, à la vaillance des combattants comme des soignants.
Au bout d’une dizaine de jours dans cette ambulance, le pharmacien et tout le personnel sont relevés et envoyés dans un autre hôpital. « Nous quittons Verdun, salués par une salve de coups de canons qui heureusement n’atteint personne », conclut le pharmacien en route vers d’autres champs de bataille…