Dans la plupart des pays, les médicaments sont conditionnés et délivrés de manière à limiter les risques de suicide liés à leur absorption, que connaissent bien sûr les pharmaciens. Mais plusieurs pays veulent aller plus loin en formant les officinaux à la prévention du suicide dans leur patientèle. À l’image du secourisme pour les premiers soins aux blessés, il existe des formations de « premiers secours en santé mentale », destinées au grand public et aux professionnels de santé non spécialisés. Développé en Australie, le programme « Mental Health First Aid » permet une réponse urgente à un risque suicidaire. Il se décline déjà en d’autres langues, et commence à être utilisé en France au sein de quelques structures de santé.
Pharmacienne et enseignante à l’université de Sydney, Sarira El-Den rappelle que 45 % des personnes ayant tenté de suicider ou s’étant suicidées ont vu au moins un professionnel de santé dans le mois précédant leur passage à l’acte, mais que ces derniers n’ont pas toujours été en mesure de repérer ce risque. Pour cette raison, des ateliers facultatifs de formation à ces « premiers secours » sont désormais proposés aux étudiants en pharmacie australiens : 30 % d’entre eux y ont déjà pris part.
De l’autre côté du Pacifique, l’État de Washington, à l’extrême nord-ouest des États-Unis, a récemment rendu obligatoire une formation à la prévention du suicide pour tous les nouveaux pharmaciens d’officine. D’une durée de trois heures, elle se compose d’une séance présentielle avec des jeux de rôle et d’une session en ligne. Par ailleurs, cet État oblige dorénavant les patients à ramener à la pharmacie les médicaments potentiellement létaux qu’ils n’ont pas utilisés : une mesure innovante aux États-Unis, mais déjà obligatoire dans quelque pays, dont le Royaume-Uni. En outre, 10 % des étudiants en pharmacie américains et canadiens ont déjà suivi un atelier de prévention du suicide.
Repérage des risques suicidaires
Plus près de nous, l’Angleterre a développé un programme de repérage rapide du risque suicidaire, basé sur une formation en ligne. Soutenu par le NHS, « Zéro Suicide » a déjà été suivi par tous les officinaux anglais et gallois. Il sensibilise les pharmaciens à cette question et les pousse à l’aborder avec les patients qu’ils estiment à risque, afin qu’ils se rapprochent de structures adaptées. Hayley Gorton, pharmacienne à l’université de Huddersfield, souligne que beaucoup d’anciens suicidants disent qu’ils auraient aimé que leur pharmacien « leur demande comment ils allaient et abordent la question du suicide avec eux ».
Mais si les pharmaciens sont sensibilisés au suicide de leurs patients, qu’en est-il de leur propre santé mentale ? En France, un quart d’entre eux a déjà songé à se suicider, estime l’association Soins aux professionnels de santé. Dans plusieurs pays, des associations d’aide aux professionnels de santé, notamment pharmaciens, les soutiennent face aux intentions suicidaires. Depuis 2020, plusieurs universités à travers le monde ont cherché à mesurer l’impact psychologique du Covid sur les officinaux, grâce au test de Maslach qui évalue l’épuisement émotionnel, la dépersonnalisation et la perte d’intérêt pour l’activité professionnelle. Selon ces critères, 60 % des pharmaciens américains et australiens se seraient ainsi retrouvés en situation de burn-out.
Les pharmaciens de Singapour ont mesuré, eux aussi, les conséquences de la pandémie sur leur risque de burn-out. Près des deux tiers d’entre eux ont été affectés par ces phénomènes, qui modifient aussi leur attitude face à l’avenir : 70 % des pharmaciens singapouriens ayant subi un burn-out souhaitent changer de profession dans les cinq ans à venir, plus de deux fois plus que ceux qui n’ont pas été touchés. Ce sont les pharmaciens les plus jeunes, obligés de travailler plus longtemps, qui ont le plus souffert de burn-out, ainsi que de problèmes de sommeil. Outre la durée de travail, c’est l’incivilité des patients qui a le plus perturbé les pharmaciens, de même que le manque de reconnaissance, la monotonie des tâches liées à la pandémie et la peur de mal faire, ont conclu les deux pharmaciennes à l’origine de l’étude, Lita Chew et Aiwen Wang. Ces facteurs de burn-out se retrouvent dans les résultats d’autres études menées auprès des pharmaciens de Canberra, en Australie, et de Wuhan en Chine.