« C’est vrai, le rock and roll n’est pas tellement le style de la pharmacie », admettent Patrick Appel et Philippe Boucher, respectivement officinal à Paris et professeur à la faculté de pharmacie de Strasbourg.
Amis de toujours, ils font, eux, « du vrai rock bien saturé et sans synthétiseur », avec un répertoire où voisinent Led Zeppelin et AC/DC, joué sur des guitares échappées des années 1980. Avec un bassiste toxicologue et un batteur vétérinaire, ils se retrouvent en concert, et parfois en studio. Comme ils ne vivent pas au même endroit, chacun répète de son côté : à défaut de jouer au milieu de son officine, Patrick Appel le fait dans la cave de sa pharmacie.
« Le rock et la pharmacie sont très prenants et chronophages, et ça explique aussi pourquoi si peu de pharmaciens en font… comme d’ailleurs de la musique en général », regrette-t-il. Pourtant, la relève est assurée : l’association des étudiants en pharmacie de Châtenay-Malabry, « Aztec Zic », forte de 35 musiciens de tous niveaux, donne une trentaine de concerts par an… en temps normal. « Comme on est nombreux, ce sont les plus expérimentés qui font les grandes rencontres nationales, mais on joue aussi dans des cafés », explique Axel Boudoux, chanteur et président de l’association, actuellement en 5e année. « Pour nous, dit-il, le rock classique est intemporel et nous a ouvert de nombreux horizons. »
Reflet de la société, le rock, comme le blues avant lui, évoque aussi le monde de la santé… et pas toujours de la manière la plus chaleureuse : les médecins et les pharmaciens y sont plus souvent vus comme des dealers au tiroir-caisse et aux étagères bien remplis que comme des professionnels de confiance. « Heureusement, aujourd’hui, tout a changé et avec la substitution aux opiacés, on ne se fait plus braquer comme autrefois », précise Patrick Appel, tandis qu’Axel Boudoux estime que cette image négative provient aussi d’une méconnaissance du métier de pharmacien. Ces derniers, d’ailleurs, ont très rarement fait l’objet de titres. Parmi ceux-ci, le groupe « the Other Half » sortit en 1966 un « single » revigorant, « Mr Pharmacist ». « Monsieur le Pharmacien, donne-moi de l’énergie et des vitamines pour tout l’hiver » : le morceau peut, comme souvent dans le rock, être écouté à plusieurs degrés.
À la même époque, les Rolling Stones ironisaient dans « les petits remontants des mamans » sur les « petites pilules jaunes » abondamment prescrites par des médecins compréhensifs aux mères de famille dépassées par la vie moderne. Et le rock a parfois le médicament tragique : « Téléphone parle des pilules détournées avalées par poignées, et Cendrillon meurt d’une overdose dans une ambulance », dit Patrick Appel. Philippe Boucher, évoque, lui, « Lithium » de Nirvana, hymne aux adolescents maniaco-dépressifs comme le fut Kurt Cobain lui-même, ou les passages douloureux d’Eric Clapton ou d’Alice Cooper contant leurs efforts pour se libérer de leurs addictions. Car, poursuit-il, le rock peut faire réfléchir : dans « Medicine Jar », une chanson de Paul Mc Cartney sur le mésusage, le refrain dit « tu n’iras pas très loin si tu continues à plonger ta main dans le pot à pharmacie ». Enfin, le langage rock raffole aussi des doubles sens et des jeux de mots, et peut même honorer un médicament… tout en parlant de bien autre chose, à l’image du superbe « Penicillin Blues » d’un groupe écossais bien oublié aujourd’hui, Stone the Crows.