Tout se passe comme si le chaos déclenché par la pandémie servait de contexte aux décisions arbitraires adoptées par des autocrates. Le cas d'Alexei Navalny, dissident russe qui vient de faire l'objet d'une tentative d'empoisonnement sur son propre territoire, après une série d'agressions du même type commises par les services secrets russes, est exemplaire d'une méthode de répression que le régime refuse d'assumer. Il traite les demandes d'explications comme un effet de l'hostilité occidentale, largement exprimée par l'Allemagne fédérale, qui a aussitôt accusé le Kremlin, après avoir accueilli la victime dans l'un de ses hôpitaux. Le refus de Vladimir Poutine d'organiser une enquête internationale, en dépit de la demande des Nations unies, la dénégation de faits corroborés, l'hypocrisie d'un régime qui ne cesse de vouloir démontrer que la dictature offre un système beaucoup plus efficace que la démocratie indiquent que Moscou n'est nullement gênée par les accusations dont elle fait l'objet et qu'elle continuera à supprimer la dissidence par l'assassinat pur et simple.
Le mutisme coléreux de la présidence russe traduit, il est vrai, son embarras et les limites de son projet. Ce qui se joue en Russie dépasse de beaucoup le cadre du rapport de Poutine avec son opposition. L'empoisonnement raté de Nalvany s'inscrit dans un contexte plus large, celui des crises ukrainienne et biélorusse, qui détériorent la réputation internationale de Moscou. À ce jour, Poutine n'entend céder ni sur la présence russe dans le Donbass ukrainien, ni sur l'annexion-éclair de la Crimée, ni sur le cas Navalny qui exprime parfaitement l'état d'esprit de quelques peuples européens las de l'autoritarisme. Ils dénoncent tous les jours, comme en Biélorussie, l'élection truquée d'Alexandre Loukachenko et, plus généralement, l'anachronisme que représente, en Russie, la présence d'un président capable de manipuler la Constitution pour rester dans ses fonctions jusqu'en 2036, s'il vit jusque là. Poutine ne comprend pas que son projet est passéiste et qu'il sera balayé parce qu'il est lié au sort d'un seul homme.
La dictature de l'insolence
Il n'existe pas de dictature, en effet, qui ne s'épanouisse dans l'insolence. La volonté de pouvoir exprime souvent une hubris tellement exacerbée qu'elle fait apparaître le crime comme un impératif catégorique. On ne peut rien reprocher à Poutine ou à Xi Jinping, parce qu'ils pensent profondément que le mal fait partie de leur souveraineté et assure la perfection de leur système sinon le respect de l'éthique. La relation entre la présence d'un régime autoritaire et la psychologie de celui qui le dirige mérite sans doute une analyse plus poussée. Mais c'est ce qui maintient en vie les Poutine, les Xi, les Loukachenko, les Erdogan, les Bolsonaro et même les Johnson et les Trump. C'est ce qui fait qu'au-delà de leurs différences, ils s'entendent si bien. Ils se sont délivrés de tout humanisme, de sorte que leurs actes ne peuvent jamais recevoir un jugement de valeur. Il est tout de même surprenant qu'un Erdogan pratique la diplomatie de la canonnière dans l'est de la Méditerranée, à la manière des « colonialistes » qui ont démantelé l'empire ottoman, celui-là même que le président turc a si hâte de reconstituer. Il ne venge pas son pays, il imite point par point ce qu'ont fait les Européens en Afrique.
Emmanuel Macron espère toujours trouver un terrain d'entente avec les dictateurs. Malheureusement, quand des navires turcs ont menacé un navire français, il n'a pu qu'exprimer sa colère. Quant à l'Allemagne, habituellement si discrète en politique étrangère, elle est prête à renoncer à un projet d'oléoduc avec la Russie pour faire entendre raison à M. Poutine. La bonne question est la suivante : à ces adversaires qui ne connaissent que la force, n'est-il pas nécessaire d'opposer les méthodes qu'ils emploient ?