Moduler le microbiome pour améliorer la santé mentale

Quand les relations cerveau-microbiote s’altèrent

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Publié le 21/01/2022
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Avec ses 250 espèces, 600 000 gènes et sa biomasse d’1 kg, le microbiote intestinal (MI) en impose et s’impose dans le monde scientifique comme en témoigne le nombre croissant d’études précliniques, chez l’animal qui mettent à jour les interactions réciproques entre le cerveau et le microbiote digestif ainsi que le dialogue avec le système immunitaire. L’enjeu n’a pas échappé au gouvernement qui a décidé récemment le lancement d’un Programme et Équipements prioritaires (PEPR) dénommé « Systèmes Alimentaires, Microbiome, Santé ».

Il est encore difficile d’affirmer que le microbiote intestinal joue un rôle dans l’initiation et le développement de la maladie de Parkinson

Il est encore difficile d’affirmer que le microbiote intestinal joue un rôle dans l’initiation et le développement de la maladie de Parkinson
Crédit photo : SPL/PHANIE

Le MI participe au dialogue intestin-cerveau selon plusieurs voies. La voie métabolique d'abord, dans laquelle les bactéries produisent des métabolites (par ex les acides gras à chaîne courte tel que le butyrate, le propionate, l’acétate) qui, après absorption par les cellules épithéliales de l’intestin, peuvent atteindre le cerveau par la voie sanguine ; la voie nerveuse, en stimulant le système nerveux entérique ou la composante parasympathique du système nerveux autonome ; la voie immune par activation des cellules immunitaires présentes dans la muqueuse intestinale, modification de l’équilibre des cytokines et interaction avec les cellules de l’inflammation, ou encore la voie endocrine par stimulation de la production des neuropeptides par les cellules entéro-endocrines de l’épithélium intestinal. Ces diverses voies activées par un microbiote équilibré, riche et diversifié, permettent une relation symbiotique qui va être bénéfique aussi bien pour l’hôte que pour le microbiote et assurer une certaine résilience lors de situation de déséquilibre (infection par pathogènes, traitement aux antibiotiques…).

Transition critique

Survient un moment critique où les espèces normalement dominantes ne le sont plus et deviennent incapables de retrouver l’état d’équilibre. Lorsque le MI perd sa richesse et surtout sa diversité, on parle de dysbiose qui est généralement accompagnée d’une augmentation de la perméabilité de la barrière intestinale. La dysbiose est souvent mise en évidence lors d’affections neuro-psychiatriques : dépression, maladies neurodéveloppementales (autisme), troubles du comportement alimentaires (anorexie), affections neurodégénératives telles que la maladie de Parkinson (MP) ou la sclérose en plaques (SEP). Les troubles fonctionnels digestifs figurent souvent d’ailleurs au tableau clinique (constipation dans la MP) de ces troubles neurologiques. Le MI pourrait ainsi jouer un rôle dans l’origine de ces pathologies, mais également dans leurs comorbidités.

Dans la MP, des marqueurs cellulaires (inclusions à corps de Lewy) décrits dans le cerveau, ont également été retrouvés dans les cellules du tube digestif (plexus myentérique et sous-muqueux) sur toute sa longueur, signifiant que les neurones entériques sont touchés par le processus pathologique. Il est cependant encore difficile de déterminer la temporalité de l’apparition de ces marqueurs et d’affirmer que le microbiote intestinal joue un rôle dans l’initiation et le développement de cette maladie neurodégénérative.

In utero déjà

La mise en évidence de l’impact du MI sur le développement cérébral repose notamment sur l’argument de la temporalité. La colonisation de l’hôte (le nouveau-né) a lieu au moment de la naissance lorsque le nouveau-né est mis en contact avec le microbiote vaginal et fécal de sa mère puis lors de l’allaitement. Son enrichissement au moment de l’enfance et de l’adolescence, sa stabilisation à l’âge adulte et son appauvrissement chez les personnes âgées sont concomitants aux diverses étapes du développement cérébral. Ce qui a amené certains chercheurs à proposer une interrelation, avec également l’observation que certains troubles du comportement, autisme, hyperactivité, pendant la petite enfance, l’anxiété et schizophrénie à l’adolescence et chez le jeune adulte et le déclin neurologique et cognitif à la vieillesse, apparaissent dans les périodes au cours desquelles le MI évolue, se diversifie ou se raréfie.

La primo colonisation et la relation symbiotique de l’enfant avec son MI dépendent du mode d’accouchement (voie basse ou césarienne), de l’utilisation d’antibiotique en début de vie et du mode d’alimentation (lait maternel ou lait de formule).

Le MI de la mère peut également jouer un rôle important pendant la période fœtale, non pas directement puisque le liquide amniotique est stérile, mais indirectement puisqu’il participe au gain d’énergie récupéré de l’alimentation de la mère pendant la grossesse et aussi à travers l’activité des métabolites bactériens (AGCC) qui sont transférés au fœtus via les échanges fœtaux-placentaires et qui pourraient jouer un rôle dans le neurodéveloppemental fœtal.

Dès lors, on comprend que l’utilisation des antibiotiques de façon répétée pendant la grossesse, ou chez le tout jeune enfant, va à l’encontre de l’installation correcte d’un MI riche et diversifié réduisant alors les chances d’un neurodéveloppement harmonieux.

Dans ce contexte, le secteur des biotechs liées au microbiome est en ébullition. Des futurs médicaments et outils diagnostiques sont développés qui, en participant au mouvement d’une médecine personnalisée, cherchent à moduler le MI afin d’améliorer la santé mentale et la prise en charge des maladies psychiatriques.

D'après l'atelier « Cerveau et microbiote », AVIESAN, Alliance nationale pour les sciences de la vie et de la santé, PARIS, 12 octobre 2021

Mireille Peyronnet

Source : Le Quotidien du Pharmacien