Tant de chantage militaire, tant de tension délibérée, tant de déni du droit, tant d'agressivité témoignent assurément d'une politique de force susceptible de conduire à la guerre, mais trahissent aussi l'inquiétude et le trouble du chef de la Russie. Aux craintes qu'il suscite en Occident répond sa propre paranoïa : il se croit encerclé par les peuples convaincus de la supériorité de la démocratie parlementaire et il riposte en essayant de les encercler. La confrontation n'est pas seulement diplomatique, elle est militaire, et elle oppose le nationalisme, arme numéro un de Poutine, à la réaffirmation par les Occidentaux de leur attachement aux droits de l'homme.
Ce nouveau tzar, qui s'est donné les moyens de rester président à vie, s'est enfoncé dans sa propre subtilité : il joue avec des arguments et des gestes si explosifs qu'il risque de se brûler comme tout apprenti sorcier. C'est là que réside sa seule faiblesse. Autrement, ses actes géopolitiques les plus récents, comme l'annexion de la Crimée, l'afflux de troupes à la frontière du Donbass, le refus rageur de libérer le dissident Alexei Navalny constituent des provocations, certes destinées à effrayer ses adversaires, en jouant notamment sur la pluralité des Occidentaux, mais propices à un dérapage capable de déclencher un conflit militaire.
On retient que la diplomatie euro-américaine tente de nouvelles approches avec Moscou tout en maintenant fermement la réaffirmation des principes démocratiques, libertés des individus et des peuples, suffrage universel, élections contrôlées. Mais la colère de Poutine est visible : il ne comprend pas les positions européennes et américaines, il estime qu'il n'a pas de compte à rendre sur sa politique intérieure ou à ses frontières. Il est donc peu probable qu'il recule sur ces sujets, sauf si lui-même, en bout d'analyse, finit par reconnaître que sa diplomatie de la terre brûlée ne fera que des victimes, parmi lesquelles beaucoup de Russes.
Le meilleur système
Poutine est le produit du monde où il a été formé, le KGB, qui a toujours encouragé le nationalisme russe, l'hégémonie de Moscou au sein du bloc soviétique, la négociation où serait seuls pris en considération les intérêts russes et non ceux des pays que, d'une manière ou d'une autre, Moscou agresse ou harcèle. Il a tenté de prouver, sur la base des manières expéditives, que le système russe était le meilleur du monde mais en même temps, il n'aime guère la réputation de dictateur qui lui est faite et l'associe à des hommes aussi peu recommandables que Xi Jinping ou Recep Yassip Erdogan, ou encore Bachar Al Assad, qu'il méprise secrètement tout en l'aidant.
L'élection de Joe Biden à la présidence des États-Unis n'est pas étrangère à la soudaine explosion de cynisme au Kremlin. Jusqu'au début de cette année, Donald Trump refusait de couper les ponts avec Moscou ou de lui signaler le moindre mécontentement pour ses agissements, parmi lesquels les cyberattaques russes contre le système électoral américain. Biden a traité Poutine de tueur, ce qui a fait sursauter de rage le maître du Kremlin. D'aucuns diront que la nouvelle diplomatie américaine est dangereuse. Mais si l'Occident n'oppose pas un peu de fermeté à Moscou, Poutine gagnera en toute occcasion. Il a fallu 70 ans pour que le communisme russe s'effondre. Il faudra des décennies pour que le poutinisme disparaisse.