La pharmacie mutualiste de La Rochelle en mai 2013, celle d’Aix en décembre 2013. Et aujourd’hui la plus vieille pharmacie mutualiste de Limoges (Haute-Vienne). Créée en 1898, la pharmacie du Grand théâtre qui employait six personnes vient, comme tant d’autres avant elle, de fermer définitivement ses portes.
Un fonctionnement spécifique
Si les raisons sont « purement économiques », selon la mutualité française, cette fermeture symbolise aussi les difficultés que rencontrent ces officines qui, à leur création, avaient marqué les esprits par leur modèle innovant. Notamment en évitant les avances de frais, préfiguration du tiers payant. « Elles avaient un fonctionnement bien à part, avec la mise en place du tiers payant, et historiquement, il s’agissait de grosses pharmacies », analyse Denis Vacarie, membre du conseil régional de l’ordre des pharmaciens de Nouvelle-Aquitaine. Mais au fil des années, cette « perte de différenciation historique a rendu le modèle incertain », selon l’Agence régionale de santé (ARS). De là à dire que le modèle des pharmacies mutualistes touche à sa fin, il n’y a qu’un pas.
Selon Philippe Naty-Dauphin, responsable pôle produits de santé, pharmacie et biologie à l’ARS Nouvelle-Aquitaine, d’autres facteurs expliquent les difficultés rencontrées. « Il y a une concurrence renforcée avec l’apparition de groupements, d’autres officines proposant des prix inférieurs du fait de centrales d’achat achetant des volumes plus importants. Et elles ont peut-être une absence de positionnement fort et différenciant, par exemple sur la prévention et le dépistage, la e-santé, la livraison à domicile etc. » Ce responsable de l’ARS note également la « difficulté d’attractivité en ressources humaines face aux autres officines qui sont des entreprises indépendantes, plus libres de leur choix ».
Un cocktail auquel s’ajoutent des raisons liées à l’évolution de la société, que l'on rencontre ailleurs en France. « La pharmacie du Grand théâtre était en hyper centre-ville, dans une rue à sens unique, où il est impossible de se garer avec des rues piétonnes partout autour. Toutes les officines dans la même situation sont confrontées aux mêmes problématiques, analyse Magali Faure, gérante de la pharmacie mutualiste Carnot, la seule encore en activité à Limoges. La différenciation entre les mutualistes et les autres n’existe plus vraiment », ajoute-t-elle.
Vaincues par la concurrence
Damien Salgues, directeur du pôle soins de premier recours à la mutualité limousine le confirme. « Vous allez dans une pharmacie pour deux raisons. Soit parce qu’il y a une typicité de service ou de produits, soit parce qu’elle est à côté de chez vous. Comme le tiers payant est généralisé, le passage en pharmacie, quelle qu’elle soit, ne va pas vous coûter d’argent. Comment se démarquer par rapport à cette offre ? C’est la question », note-t-il, arguant aussi qu’à Limoges, la surdensité d’officines dans le centre-ville pour le nombre d’habitants est un facteur clé. « Et la piétonnisation est effectivement un coup de frein supplémentaire. »
Une situation identique avait conduit à la disparition de la pharmacie mutualiste de la rue du Minage à La Rochelle, fermée en mai 2013, à cause d’une forte concurrence dans l’hypercentre, comprenant cinq officines à proximité immédiate du marché central.
Autre explication avancée par Marion Lemaire, coprésidente du syndicat des pharmaciens de la Haute-Vienne (FSPF) : les officines dans l’ex-région Limousin sont en moyenne « plus petites et donc plus fragilisées par leur chiffre d’affaires. On a des charges fixes qui sont les mêmes que les grosses officines, des marges qui diminuent. Les mutualistes se différenciaient par le passé ce qui est moins le cas aujourd’hui. Elles font 2 à 3 % de remise directement sur la parapharmacie mais aujourd’hui, tout le monde a des cartes de fidélité sur l’année ».
À cela s’ajoute, à Limoges, ville de 130 000 habitants, une diminution des prescripteurs. « Dans mon quartier proche du centre-ville, j’avais personnellement trois médecins prescripteurs récemment. Il n’y en a plus qu’un seul aujourd’hui », résume Marion Lemaire.
Les pharmacies minières aussi
Parallèlement, le système des pharmacies minières est, lui aussi, en déclin. Il n’en reste que 18 en France. Ce dispositif rencontre les mêmes problématiques auxquelles s’ajoute une diminution progressive de la population couverte, la dernière mine de charbon ayant été fermée en 2004 en Moselle et l’extinction du régime minier étant acté depuis 2011.
À Limoges, sur la devanture de la pharmacie mutualiste du Grand théâtre, une affiche clôt cette aventure mutualiste débutée il y a 126 ans. « Nous remercions chaleureusement tous nos patients dont la fidélité et la confiance nous ont accompagnés pendant toutes ces années. Vous nous manquerez. Prenez bien soin de vous ! Vincent - Karen - Danièle - Chantal - Sébastien - Isabelle ».
En chiffres
La Mutualité française dénombrait 72 pharmacies mutualistes en France en 1983, un chiffre qui est tombé à 35 aujourd’hui. Soit une perte de 50 % en quarante ans. Ce recul est sans commune mesure avec le relâchement du maillage officinal. Selon l’Ordre national des pharmaciens, entre 2012 et 2022, le nombre d’officines en métropole a diminué de 1808, soit 8,2 % en dix ans. Néanmoins, sensible aux mêmes facteurs qui ont précipité le déclin des pharmacies mutualistes, le réseau officinal a perdu 9 % de sa densité en dix ans. Selon les chiffres du GERS Data, en 2023, 276 officines ont baissé le rideau en 2023, un chiffre record. Pour la première fois, le nombre d’officines en France est passé sous la barre des 20 000.