Marion a préparé le petit-déjeuner quand Bruno et leur fils Anatole se lèvent.
- Jus d’orange, fruits secs, tartines, granola, café ou chocolat. Bonjour mes amours, lance-t-elle lorsqu’elle les aperçoit.
- Marion, je te connais par cœur. Quand tu mets les petits plats dans les grands, c’est que tu as quelque chose à demander… ou plutôt que tu as décidé quelque chose et tu sais que ça ne me plaira pas.
Après quinze ans de mariage et vingt ans de vie commune, les comportements de Marion n’ont plus de secrets pour son mari. Marion le regarde en souriant.
- Vous n’avez qu’à aller skier sans moi ce matin. J’ai promis à Isabelle de passer la voir à l’hôpital.
- Marion, ce n’est pas ta patiente. Elle a son ou sa pharmacienne, son médecin, etc.. Pourquoi tu t’obstines…
- Bruno, venir en aide à cette femme était essentiel. Mais je pense qu’elle a besoin de comprendre les dangers de sa maladie. Si je ne lui dis pas, qui va le faire ?
- Je viens de te le dire : son pharmacien, son médecin. Ce sont à eux de faire le job, pas à toi. Encore moins quand tu es en vacances.
- Je veux juste lui dire qu’elle doit apprendre à vivre avec son diabète plutôt que de l’ignorer. Elle est clairement dans le déni. L’ordonnance que j’ai trouvée dans son sac date de plus de deux mois. Pour du glucagon, tu te rends compte ?
- Je ne sais pas ce que c’est que le glucachose, finit par répondre Bruno en tapissant largement sa tartine de miel des montagnes.
Puis, regardant Anatole, il ajoute :
- Mais ce que je sais fiston, c’est que ta mère est têtue comme une mule.
Quand Isabelle voit Marion entrer dans sa chambre, son visage s’éclaircit.
- Ma sauveuse.
- Faut pas exagérer quand même.
- Si, si, ma sauveuse. Le médecin me l’a dit ce matin. Mon hypoglycémie était sévère et il fallait réagir vite. Si vous n'aviez pas compris que j’étais diabétique, je ne serais plus là pour vous remercier. Alors merci.
Les deux femmes se regardent. Elles ne se connaissaient pas hier et pourtant, elles se parlent comme deux amies de toujours.
- Je ne vais pas rester longtemps Isabelle. Mais je tenais absolument à vous voir. Comment vous sentez-vous ?
- Je comprends. C’est déjà chic d’être venue alors que vous êtes en vacances. Je me sens mieux, carrément mieux. Mais ils veulent me garder pour faire encore des examens.
Elle se passe la main sur la tête :
- Une plaie de quinze centimètres quand même.
- Isabelle, désolée d’être aussi directe, mais ne laissez pas le diabète vous bouffer la vie. Je sais que les traitements sont contraignants, surtout l’insuline. Mais au moins, il y a des traitements ! Et ils sont efficaces. C’est comme ça, il faut que vous acceptiez cette maladie. C’est la pharmacienne qui parle.
Marion marque une pause puis reprend :
- Et maintenant, c’est la femme qui se confie : quand on m’a annoncé mon cancer, je ne voulais pas y croire. Je me disais qu’en l’ignorant, le cancer allait m’oublier. Mais c’est faux et stupide de penser ça. Ce qui ne veut pas dire que la vie doit se résumer à la maladie ; la vie est beaucoup plus riche que ça, et même diabétique, vous allez vivre encore de magnifiques choses.
- C’est dommage que nous n’habitions pas à proximité. J’aurais certainement changé de pharmacie. La seule chose qu’on m’a dite quand je suis allée chercher mon traitement la première fois, c’est : « on n’a pas le médicament. On vous le commande, pour demain ».
- Je ne sais pas si j’aurais fait mieux, répond Marion pour ne pas accabler ses confrères ou consœurs cités. Mais ce qui est certain, c'est que je ne délivrerai plus une ordonnance d’insuline comme avant.
(À suivre…)