Référencer des gammes Bio, écoresponsables, aux ingrédients non controversés, participer aux filières de collecte, tri et recyclage, veiller à la qualité de l'environnement de travail et aux économies d'énergie… Autant d'initiatives qui peuvent relever d'une démarche de développement durable, prendre la forme d'une stratégie RSE (concept de responsabilité sociétale des entreprises créé en 2011 par la Commission européenne) et, pour certaines, répondre aux objectifs anti-gaspillage visés par l'économie circulaire. De nombreuses officines ont déjà adopté tout ou partie de ces réflexes, sans pour autant être estampillées « pharmacie écolo ». Ainsi, 18 000 d'entre elles sont engagées dans la collecte des DASRI (déchets d'activités de soin à risque infectieux) qui permet de récupérer 85 % des 1,5 milliard de dispositifs médicaux perforants mis sur le marché tous les ans (source DASTRI). Quant aux MNU (médicaments non utilisés), une récente étude Cyclamed/BVA indique que 78 % des Français les déposent auprès du circuit officinal, par ailleurs impliqué dans les opérations de sensibilisation au tri.
Dans une autre étude, menée fin 2019 par la plateforme digitale Pharmed'Insight, les 3/4 des 5 000 officinaux interrogés déclarent leur sentiment d'agir en faveur du développement durable, 77 % étant prêts à s'y engager plus amplement, 76 % en impliquant leur équipe. Réduction des déchets, recyclage et économies d'énergie font figure de mesures prioritaires, là où les actions concrètes se partagent entre distribution de sacs biodégradables et incitation au recyclage des MNU, les critères Bio/écoresponsables influençant les choix en parapharmacie pour 65 % des interviewés. Au final, une large majorité de pharmaciens estime la démarche de développement durable bénéfique pour leur officine, même si elle relève avant tout de la conviction.
Social, environnemental et économique
La pharmacie de la Lèze, pour sa part, a été portée par la détermination - et une certaine utopie ? - de ses titulaires. C'est ce qui les a conduits, en 2015, à s'engager dans une démarche écoresponsable relevant tout droit du développement durable. Parce qu'ils s'estimaient responsables envers la société, l'environnement et les générations à venir, les associés ont mis leurs actions en accord avec leurs convictions : promotion de la santé, achats, gestion des déchets, consommation de l'eau, de l'énergie, qualité de l'air, transport, bâtiment font partie des domaines impactés par la démarche. Devenir un acheteur responsable, par exemple, impose de sélectionner ses achats en fonction de critères écoresponsables, d'impliquer les principaux fournisseurs dans cette démarche, de sensibiliser et de former le personnel à la composition des produits, aux labels et référentiels…
Considérer que son activité est une source potentielle de déchets à valoriser implique d'organiser la collecte, le tri et l'élimination des médicaments, matériel médical, radios argentiques, produits chimiques, thermomètres à mercure, mais aussi des équipements électriques et électroniques, des cartouches d'encre, des batteries… Veiller au bien-être de l'entourage engage les salariés à participer plus volontiers à l'organisation du travail et conduit l'officine à développer des partenariats avec les structures de santé locales pour mutualiser les compétences et créer de nouveaux services… Contrôler la qualité de l'air impose d'en mesurer la composition régulièrement, d'éliminer les polluants intérieurs (peintures sans COV, nettoyage à la vapeur). Promouvoir la santé environnementale nécessite d'éduquer la clientèle…
« Au départ, j'avais envie d'améliorer la qualité de vie au travail de mes salariés, explique Olivier Bascoulès, un des titulaires. Puis, petit à petit, différentes dimensions - sociale, économique, éthique - de l'officine ont été investies avec ce prisme… Ces initiatives prennent du temps mais la démarche a beaucoup d'avantages en termes de qualité d'exercice, de roulement de l'activité. Elle permet aussi de rejoindre les préoccupations d'une partie croissante de la clientèle. » Dans son cheminement, l'officine n'était pas seule. L'agence Primum Non Nocere, spécialisée en stratégie RSE, l'a accompagnée. Une dizaine d'officines ont pour l'instant compté au nombre de sa clientèle. « C'est peu sur 550 établissements de santé que nous accompagnons », reconnaît Pierre Gremet, conseiller en développement durable au sein de l'agence. En cause, l'absence de politique incitative, mais aussi de modèle économique. Là, c'est au pharmacien de choisir librement ses gammes, en privilégiant la qualité. « Mais il doit connaître la composition, la provenance, l'impact sanitaire des références qu'il a sélectionnées afin de pouvoir les conseiller au mieux. »
Être viable et rentable
Faire des choix éclairés impose toutefois de se former aux produits innovants et aux ingrédients les plus sécurisants, comme le propose le « Lab RSE » consultable sur le site de l'agence. Au global, mettre en œuvre une stratégie RSE peut mobiliser une dizaine d'heures par mois. « On considère trop souvent l'investissement en termes de temps sans envisager les opportunités que crée la démarche : de la valeur ajoutée en matière de produits, de conseils, une expertise très demandée du public », rappelle Pierre Gremet. La liste des bénéfices ne s'arrête pas là. « Le premier principe RSE est d'être viable et rentable », donc d'optimiser les dépenses en économisant du temps (par exemple moins d'emballages signifie moins de manutentions) et de l'énergie, en choisissant des équipements longue durée, en veillant au bien-être de l'équipe (moins d'absentéisme, de turn-over) ; la démarche vise aussi à diminuer l'empreinte de l'homme sur l'environnement (certaines substances actives issues des médicaments se retrouvent dans l'eau) ; réduire l'impact sur la santé humaine en bannissant des compositions les substances nocives (perturbateurs endocriniens par exemple) est le 3e enseignement ; faire des choix qui tiennent compte de la santé des individus – des applications dévoilant la composition des médicaments et leur impact PBT (Persistance bioaccumulation toxicité) seront bientôt disponibles – figure aussi au nombre des bénéfices à citer. Toute la démarche répond au référentiel THQSE (Très haute qualité sanitaire, sociale et environnementale) qui mène à la labellisation.
Le réseau Pharm'O Naturel, pour sa part, est labellisé EnVol (par l'agence Lucie) et suit une démarche d’amélioration continue vers une eco- responsabilité à tous les niveaux, engageant ses 72 officines adhérentes : choix de produits naturels, formation des équipes, sélection des laboratoires partenaires (français, circuits courts, traçabilités de fabrication, implication RSE) selon la philosophie du réseau, collecte des déchets, naturalité de l'agencement (bois, végétalisation de l'espace…). « Cet engagement est un véritable plus pour la pharmacie et sa clientèle, constate Sophie Gaudin Brivet, fondatrice du réseau. Nous devenons des pharmacies de référence avec une fidélisation importante du public, une augmentation de la fréquentation et un développement constant. »
Un autre label « Pharmacie durable » mêlant qualité et protection de l'environnement a été mis en place il y a plus de dix ans par le groupement PHR. Il comprend trois volets (santé publique, social, environnemental) à mettre en œuvre : le premier considère l'officine comme un référent de santé majeur face au patient ; c'est elle qui doit prévenir les comportements à risque, assurer une éducation thérapeutique, protéger le capital santé du public. Le second volet valorise le management responsable qui assure le dialogue social, la maîtrise des risques, l'amélioration des compétences de l'équipe. Le dernier volet est dédié aux économies d'énergie, matériaux durables, gestion des déchets, implication des fournisseurs dans les démarches…
Quelque 125 officines PHR sont aujourd'hui labellisées. « L'engagement est un peu frileux, estime Lucien Bennatan, car les officines redoutent les transformations à effectuer et ne constatent pas encore de retour sur investissement. » Pour autant, le dirigeant ne remet pas en doute l'orientation écologique qu'il a donnée au groupement. « Quand les problématiques environnementales seront notre quotidien, nous serons prêts. »