Roger Simard a démarré son projet en menant une expérience de santé connectée dans sa pharmacie à Montréal, au Québec, auprès de personnes âgées. Il a suivi 40 patients âgés de 65 à 89 ans, autonomes mais atteints de maladies chroniques. En leur fournissant des appareils connectés à une tablette numérique, Roger Simard a pu suivre en continu la tension artérielle, la glycémie, le taux de cholestérol, la fréquence cardiaque et le nombre de pas quotidiens de ses patients restés à la maison, via une application. Grâce à un tableau de bord ultra visuel et donc aisément lisible, il peut analyser en quelques minutes ces résultats grâce à des codes couleur (vert, orange et rouge). Lorsqu’un paramètre apparaît orange ou rouge, le pharmacien québécois peut alors ajuster certains traitements ou encore renvoyer son patient vers son médecin.
Tablette connectée
Et les patients peuvent également suivre l’évolution de leurs paramètres grâce à leur tablette connectée et savoir si leurs objectifs de santé fixés sont atteints. Ce projet permet au patient de mieux comprendre sa maladie et son traitement pour mieux en appréhender les variations. Parce que savoir que son taux de LDL cholestérol a augmenté de 2 points car le patient a stoppé son traitement a moins d’impact que de voir un voyant vert passer à l’orange voire au rouge. Le patient est impliqué dans le suivi de sa maladie et de sa santé. « J’ai observé un aspect motivationnel particulièrement intéressant. Les participants ont apprécié le fait d’être en contrôle de leurs cibles thérapeutiques et aussi d’apprendre comment les atteindre, mais également de sentir qu’un professionnel de la santé était là à l’autre bout, agissant comme un coach et ayant accès à l’information les concernant en temps réel. C’était aussi sécurisant pour eux. » Certains de ses patients âgés n’avaient jamais utilisé jusque-là de tablette connectée, et c’est aussi un bon point sur le plan cognitif.
Ainsi, on donne au patient plus d’outils pour gérer sa santé. Des études prouvent qu’un patient qui comprend sa maladie et qui peut suivre l’évolution de ses cibles thérapeutiques est plus susceptible de se responsabiliser par rapport à sa santé : « Refuser de les [les informations de santé du patient et les cibles à atteindre, NDLR] partager, c’est perpétuer la tradition paternaliste de la médecine. Ça ne fonctionne pas. » Il ne s’agit plus de laisser le professionnel de santé décider mais de comprendre avec lui et de participer. Le professionnel de santé est là pour un accompagnement continu et maintenir le patient motivé tel un coach médical. M. Simard précise qu’il ne cherche pas à remplacer les médecins. Il ne fait aucun diagnostic mais suit les cibles thérapeutiques établies par les médecins. Le rôle du pharmacien est ainsi renforcé dans la prise en charge de la santé des patients. De nouvelles relations interdisciplinaires peuvent aussi se mettre en place, toujours dans un but de positionner le patient au centre du système de soin.
Le smartphone, outil diagnostic
Et cette période particulière de Covid-19 nous démontre bien ici l’intérêt de ces nouvelles technologies avec la multiplication des téléconsultations par les médecins. Mais aussi avec les nouvelles difficultés rencontrées chez des patients normalement suivis par leur médecin généraliste qui se retrouvent seuls chez eux, n’osant pas consulter. Une telle plateforme peut permettre aux pharmaciens de continuer le suivi de leurs patients tout en s’assurant que les cibles thérapeutiques sont atteintes pour un renouvellement sécurisé d’ordonnance.
Pour Roger Simard, les smartphones ne devraient pas se réduire à communiquer. Leur rôle pourrait être largement supérieur. En fixant des électrodes à l’arrière d’un smartphone et en les connectant à une application, il est maintenant possible d’obtenir un électrocardiogramme sur son téléphone. De même, on peut transformer son smartphone en otoscope (via un dispositif coûtant 79,95 $). La photo du fond d’oreille obtenue peut ensuite être envoyée au médecin qui décide si une consultation est nécessaire ou non. Tous ces dispositifs sont homologués « Santé Canada » et sont considérés comme utilisables pour le diagnostic.
Trouver le financement
Le projet 3.0 s’est ensuite étendu à une quinzaine de pharmacies au Québec (300 patients). Mais il a malheureusement dû s’arrêter, faute de financements. Deux points clés restent à ce jour encore à définir : la rémunération des pharmaciens pour ces nouvelles missions et un encadrement juridique de ces échanges de données personnelles.
Cette plateforme est un gain de temps (même pour le pharmacien qui ne consacrait que 15 minutes par jour à l’analyse des paramètres de ses 40 patients grâce à la lisibilité du tableau de bord), d’énergie et d’argent. Les patients deviennent autonomes, ce qui participe à l’optimisation des soins de santé en évitant des consultations inutiles, en organisant mieux les soins et en améliorant les performances du système. Des pays comme l’Angleterre ont déjà mis au point de tels dispositifs, repensant la rémunération des pharmaciens face à ces nouvelles missions.
Quant à la question de la confidentialité de ces plateformes, il n’existe pas encore de loi au Québec pour encadrer ces nouveaux dossiers informatiques. Aux États-Unis, une loi existe (la Jin act) et empêche les compagnies d’assurances d’utiliser ces données (pour refuser d’assurer quelqu’un ou pour augmenter les cotisations selon les données de santé). Les assurances québécoises font, elles, pression sur les gouvernements pour ne pas légiférer, ce qui leur permettrait d’utiliser ces informations…
Ce projet 3.0 est disponible en Europe, notamment en Suède sous le nom « IBD Home ». En France, c’est le groupe La Poste qui se lance en 2019 dans la santé numérique. Docaposte (entreprise affiliée à la poste permettant le stockage de documents et leurs transferts entre professionnels) associé au Laboratoire Arrow a mis en place une plateforme ressemblant à celle de Roger Simard et accessible par le pharmacien. Le patient lui y a accès via l’application La Poste eSanté.