Dans un domaine, la réduction du nombre des missiles nucléaires dans les deux camps, l'espoir est permis, justement parce que le sommet n'a pas capoté. Le président des États-Unis s'est livré à une diplomatie de l'apaisement qui rassurera tous ceux qu'épouvante le retour à la guerre froide, mais dont il rendra compte à l'opposition républicaine au Congrès. Sur les droits de l'homme en revanche, il n'a rien obtenu, mais il savait qu'il se heurterait à un mur. On connaît bien les raisons de sa relative indulgence à l'égard du maître du Kremlin : les États-Unis considèrent la Russie et la Chine comme deux adversaires très dangereux mais ils s'efforcent de les découpler, c'est-à-dire de les traiter différemment et l'une après l'autre. C'est l'histoire des Horaces et des Curiaces : pour gagner, il faut battre les rivaux successivement et pas tous à la fois.
Un dialogue nécessaire
Cette stratégie a des conséquences positives, ne serait-ce que parce qu'elle permet dans l'immédiat de diminuer les stocks nucléaires dans les deux camps, et de ramener à la tiédeur des relations américano-russes en état d'ébullition. Ce qui est un gage de stabilité pour les Européens. On ne perd rien à se parler les yeux dans les yeux : après un dialogue, il est plus difficile de menacer l'interlocuteur. Dans la foulée, la Turquie elle aussi a commencé à se calmer et tenté de revenir dans le giron de l'Union européenne et de l'Otan. On verra à l'usage si son choix diplomatique et sincère ou si c'est une entourloupe.
La Realpolitik est le maître-mot quand il s'agit de traiter un concurrent paranoïaque qui se croit encerclé et dispose d'une force de frappe nucléaire. Pour les défenseurs des droits de l'homme, elle est consternante et même désespérante. Tous les gouvernements issus de la démocratie parlementaire nous expliquent qu'ils ne manquent jamais de s'élever contre les atteintes aux droits de l'homme en Russie et qu'ils en parlent les yeux dans les yeux à Poutine et à ses lieutenants. Mais tous les jours, il augmente la pression contre les dissidents qu'il traite de « terroristes », en muselant leur presse, en dissolvant le mouvement d'Alexei Navalny, jeté en prison et maltraité, et dont la santé est en danger. Sans compter les milliers d'opposants que les services secrets de Moscou pourchassent partout où ils sont. Et l'interdiction qui leur est faite de se porter candidats aux élections.
Vladimir Poutine a manipulé les institutions de telle manière qu'il est en mesure de rester au pouvoir, celui qu'il détient depuis 20 ans, jusqu'en 2036. C'est un démagogue nationaliste qui n'éprouve aucun scrupule à bafouer le droit en Russie et le droit international. Il devrait figurer en tête de la liste des ennemis publics mondiaux. Et quand Biden, avant de mettre de l'eau dans son vin, l'a qualifié de « tueur », il a dit une vérité infiniment plus forte que les quelques compliments qu'il a prononcés après l'entretien de Genève. Personne de sensé ne peut oublier le courage de Navalny, un homme jeune et courageux qui a été empoisonné au Novitchok par les sbires de Poutine, a été soigné en Allemagne, puis est retourné en Russie pour y subir les pires châtiments. Sans le moindre espoir, pour lui, d'une libération prochaine.