Julien repose le verre UPSA sur le bord de l'évier, après l'avoir rincé. Machinalement, il lit ce qui est inscrit : « Merci l'effervescence ». « Toute une époque », songe-t-il en s'essuyant les mains. Il repositionne son masque et sort du local de pause. La pharmacie va rouvrir dans quelques minutes, le temps pour l'adjoint de finaliser des dossiers. La matinée de reprise a été rude, comme si tous les patients s'étaient donné rendez-vous aujourd'hui pour venir retirer leurs médicaments. Dans le back-office, une série de cartons s'entassent, en attente de réception. « On attend la facture, comme d'habitude », lui avait expliqué Lou, la jeune apprentie. À côté d'une étagère fourre-tout, un distributeur de gel hydroalcoolique contribue à l'encombrement de l'espace. Nicole Bertin, la doyenne des préparatrices, y a fixé un papier : « Hors-service - Fuite ». Depuis, l'appareil attend on ne sait quoi. Une voix sort Julien de sa rêverie.
- C'est quoi ce bordel ? Il y en a partout. Il suffit qu'un de nous s'absente pour que l'équipe se relâche, tonne J-C dans le bureau.
- Moins de personnel, des commandes qui arrivent en plein été alors qu'on les attendait fin juin, et du monde tout le temps. L'explication est simple, J-C. Mais fais attention aux cartons tout de même, ce serait bête de te casser l'autre jambe, plaisante Karine, son associée.
Après plusieurs mois d'arrêt pour fracture aggravée, J-C reprend du service à la pharmacie. Depuis cet accident et malgré les séances de kiné, il conserve un boitement et s'aide d'une canne pour se déplacer ; avec son caractère impossible et ses réflexions désagréables, J-C est l'incarnation parfaite du célèbre Docteur House. D'ailleurs, c'est ainsi que le surnomme l'équipe, dans son dos bien évidemment.
- Bonjour Jean-Christophe. Je ne savais pas que tu revenais aujourd'hui ? C'est chouette de te revoir.
- Salut Julien. Et oui, il faut bien reprendre. Mais à mi-temps pour le moment. Donc notre cher Jean-Paul reste encore un peu avec nous, en soutien. Je sais qu'il peut être un peu brut de décoffrage avec les patients, mais en termes de pharmacie et de médicaments, on peut lui faire confiance.
Puis, contemplant le back-office, il ajoute :
- Regarde-moi ça, quel chantier ! Vivement qu'on reçoive le robot.
- Ça y est ? C'est conclu ?, interroge l'adjoint.
- Oui, on a signé le contrat la semaine dernière. Il sera installé au cours de l'automne, si l'épidémie le permet. En attendant, il faut qu'on redessine notre back-office pour optimiser l'aménagement. Tout ça par exemple, ce sera rangé dans le robot, s'enthousiasme le titulaire en montrant les colonnes tiroirs.
- Tu as déjà travaillé avec un robot je crois ?, demande Karine à Julien, adossée dans l'encadrement de la porte du bureau.
Julien a juste le temps de répondre par l'affirmative ; la sonnerie du téléphone l'interrompt.
- J-C, Karine ? Je vous passe l'appel. C'est la DGCCRF je crois.
- Fallait bien que ça nous tombe dessus ça aussi. Qu'est-ce qu'ils viennent nous emmerder, comme si on n'avait que ça à faire, s'emporte J-C.
- Je les prends dans le bureau.
Puis se tournant vers son associé, elle ajoute de façon très diplomate :
- J-C, tu es en pleine effervescence, laisse-moi gérer. On va essayer de ne pas se les mettre à dos, ça ne ferait que compliquer les choses…
(à suivre…)