ON DIT PARFOIS de certaines personnes qu’elles sont nées à la bonne époque… Pour le docteur Pierre Boucard, c’est indéniablement le cas. Le scientifique, inventeur de l’antidiarrhéique Lactéol, exerce dans les premières années du XXe siècle, période où l’investigation médicale est en pleine émulation. Celle-ci profite notamment du travail de quelques chercheurs de renom qui tous se concentrent sur les phénomènes de défense immunitaire, les bactéries et plus précisément sur les mécanismes de la fermentation lactique. Jugez un peu du cadre… Élie Metchnikoff, biologiste d’origine russe, a déjà introduit l’idée du rôle positif que pourraient jouer certaines bactéries présentes dans les laits fermentés. Il a, en effet, remarqué que l’espérance de vie des populations bulgares, où l’on consomme beaucoup de ferments lactiques, est plus importante que dans d’autres ethnies. Fort de ses observations et de ses recherches, il prétend qu’il est possible de modifier la flore intestinale par l’introduction de ces « microbes utiles », jetant ainsi les bases des théories futures sur l’effet probiotique. Majeurs, ses travaux en immunologie lui vaudront de recevoir le prix Nobel de physiologie et de médecine en 1908 alors qu’il exerce en tant que professeur de microbiologie à l’Institut Pasteur.
Autre membre de l’illustre structure, Henry Tissier est également à l’œuvre en ce tout début de siècle. Ses recherches le portent aussi à s’intéresser de près aux bactéries impliquées dans l’immunité et qu’il observe à partir de la flore intestinale du nourrisson. La plus faible fréquence de gastro-entérites chez les enfants nourris au sein le pousse à rechercher la présence d’éléments protecteurs de l’organisme dans le système digestif. C’est dans les selles de bébés allaités qu’il va les identifier et leur donner le nom de bifidobactéries. Des années plus tard, une des souches de bifidobacterium sera largement exploitée - sous forme de yaourt et de lait - à des fins commerciales par l’industrie agroalimentaire.
Au brillant édifice scientifique qui est en train de se constituer, Pierre Boucard va apporter sa pierre… précieuse. Biologiste, élève de l’école Pasteur, nourri aux théories d’Élie Metchnikoff dont il est un des disciples, il voue son travail au monde bactérien et à la défense immunitaire.
Macrobactérie.
C’est une fois de plus dans les selles d’un enfant - malade, cette fois ci - que la découverte va se produire. Équipe d’un microscope de faible capacité - au regard du matériel actuel - Pierre Boucard n’arrive à sélectionner que des bactéries de grande taille. C’est parmi elles qu’il isole une souche nommée Lactobacillus LB qui va se révéler, une fois cultivée, comme un traitement remarquable. La trouvaille n’est pas anodine car, au cours des nombreuses études qui sont menées sur le sujet, ce sont des centaines de souches, toutes originales et à l’action spécifique, qui sont identifiées.
Pour multiplier sa bactérie, le biologiste se sert du procédé à l’œuvre lors de la fermentation lactique, soit un réchauffement à 37 °C qui permet de doubler le nombre de bacilles toutes les 20 minutes. D’origine humaine, cette prolifération bactérienne s’avère être un moyen de défense suffisamment concentré pour constituer un traitement efficace. Une concentration que le chercheur porte à 450 millions de Lactobacillus LB, donnant ainsi naissance à une pointure en matière de traitement antidiarrhéique. Car, s’il est vrai qu’à cette époque, de nombreux produits d’origine microbienne sont utilisés pour soulager les maux de ventre, la souche découverte par le biologiste crée la différence par son effet thérapeutique. En 1907, le médicament est donc lancé. Il est nommé Lactéol et se présente sous forme de comprimés, une galénique qui va connaître un succès croissant. Ce n’est pas celle, pourtant, qui sera retenue pour porter la nouvelle formule qu’adoptera l’antidiarrhéique deux décennies plus tard. Car Pierre Boucard ne cantonne pas sa carrière à la découverte du Lactobacillus LB. Il poursuit ses recherches et constate ainsi que le milieu de culture fermenté dans lequel prolifèrent ses précieuses bactéries, n’est pas sans présenter un sérieux intérêt thérapeutique. Les « métabolites » pourraient en effet agir sur la diarrhée de façon positive. L’idée d’associer l’action des germes à celle que révèle leur milieu de vie s’impose rapidement. Dès 1928, La seconde version de Lactéol combine donc, au cœur d’une ampoule, 350 millions de Lactobacillus LB et 7 millilitres de milieu de culture fermenté. Ce qui a pour effet de démultiplier le pouvoir du médicament qui désormais est capable d’agir sur la diarrhée d’origine virale mais également sur les affections d’origine bactérienne. Des compétences que le public a tôt fait d’élargir en utilisant la formule en cas de douleur abdominale ou encore pour soulager les aphtes, détournant la forme ampoule pour s’en servir en bain de bouche.
Association de bienfaiteurs.
Cocktail détonant, la combinaison bactéries/métabolites est en outre une première ! Elle va faire le succès de la marque et fixer son identité à long terme. Sans que son articulation ne soit modifiée, la formule va peu à peu gagner en proportion. En 1978, elle renferme 5 milliards de souches Lactéol que viennent seconder 170 mg de milieu de culture fermenté. Dix ans plus tard, la numération est portée à 10 milliards de Lactobacillus LB et 340 mg de métabolites. Commercialisé le plus souvent sous forme de gélules, le médicament va aussi adopter celle d’une poudre en sachet. Largement connus et reconnus, ses effets probiotiques ont fait l’objet de plus de 25 publications - une majorité émanant de l’INSERM - ces trente dernières années mais l’intérêt de Lactéol est aussi cité en pédiatrie chez les patients intolérants au lactose. Bien avant qu’il n’apparaisse dans la littérature, le médicament avait cependant fait l’objet d’une autre sorte de publication. Pierre Boucard avait en effet conçu tout un agenda dédié à son produit et l’avait adressé par courrier aux médecins du territoire. Juste après que ne s’achève la seconde guerre mondiale, il l’avait rendu payant et reversait l’intégralité de ses bénéfices aux orphelins de guerre.
Lactéol, aujourd’hui, répond à un positionnement précis en pharmacie : produit de conseil de grande sécurité d’emploi (pas d’effets secondaires, pas d’interactions médicamenteuses, posologie identique quels que soient le poids et l’âge du patient), il est préconisé pour traiter tout type de diarrhée, qu’elle soit d’origine bactérienne ou virale. Un champ de compétences que la marque compte bien élargir à l’avenir en orientant ses recherches sur le syndrome de l’intestin irritable (les colopathies fonctionnelles) et, plus précisément, la perméabilité intestinale et l’action protectrice de la flore face à l’invasion des bactéries pathogènes… Peut être, alors, pourra t-on parler non plus d’effet mais d’action probiotique ?
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