Alors que la Haute Autorité de santé (HAS) a publié le 10 novembre ses réponses rapides concernant les modalités de mise en œuvre de l'oxygénothérapie chez les patients Covid, plusieurs voix se sont élevées contre, craignant une perte de chance pour les patients.
Si les logos du Collège de la médecine générale et du Conseil national de l'urgence hospitalière (CNUH), apparaissent - entre autres - sur les recommandations de la HAS, celui de la Société de pneumologie de langue française (SPLF) fait figure d'absent. Et pour cause, si la SPLF a bien été sollicitée initialement par la HAS, elle n'a pas cautionné cette version des recommandations, comme l'explique au « Quotidien » sa présidente, la Pr Chantal Raherison-Semjen, pneumologue à Bordeaux. « Lorsque la HAS nous a contactés, nous avions déjà amorcé un travail, car nous étions interrogés par les ARS et les médecins non-pneumologues sur la prescription d'oxygène à domicile, dit-elle. Nous avons donc cherché à répondre à ce besoin par le biais d'un document rappelant les bonnes pratiques. » La sollicitation de la HAS arrivait donc à point nommé.
La crainte d'une aggravation rapide
Lors d'une réunion réunissant la HAS, des représentants des médecins généralistes et le Pr Djillali Annane, réanimateur à l'hôpital Raymond-Poincaré, la SPLF a partagé sa position, résumée ainsi par la Pr Raherison-Semjen : « Les patients qui ont besoin d'être hospitalisés en aigu doivent l'être et la prescription d'oxygène à domicile doit être réservée à des patients qui ont été hospitalisés et qui peuvent retourner à domicile de manière précoce pour décharger les services, ou bien à des patients pour lequel le médecin traitant juge qu'une hospitalisation serait déraisonnable en cas de limitation de soins ou de volonté du patient ou de la famille. »
Or, dans ses recommandations, la HAS a défini deux situations pour lesquelles cette prise en charge pouvait être envisagée. Dans la majorité des cas, cela concernerait effectivement des patients qui ont été hospitalisés et dont l’état de santé rend possible un retour à domicile avec un apport en oxygène peu élevé. Mais l'oxygénothérapie à domicile pourrait aussi, de façon plus exceptionnelle, être proposée à des malades qui n'ont pas été hospitalisés mais dont l’état de santé permet une prise en charge initiale à domicile.
Si la première catégorie de patients ne pose pas de souci, la seconde, en revanche, inquiète en raison d'un risque d'aggravation qui peut survenir très rapidement. « Nous considérons que cette maladie est suffisamment grave en aigu pour que les patients soient pris en charge à l'hôpital », souligne la Pr Raherison-Semjen.
Dans un communiqué qui dénonce « une proposition inacceptable de la HAS » et appelle au retrait de ces recommandations, l'UFML-Syndicat indique pour sa part : « confier la surveillance de ces patients aux aidants constitue à la fois une perte de chance pour les malades et une responsabilité inacceptable à faire peser sur les épaules des aidants ».
L'UFML-S a également apporté son soutien au collectif « Du côté de la science », qui, en amont de la publication des recommandations de la HAS, alertait déjà sur le fait que « l'oxygène à domicile en phase précoce est une mauvaise idée qui ne tient pas compte des données de la science ». Le collectif faisait alors écho à des propositions émanant du syndicat MG France.
Par ailleurs, la Pr Raherison-Semjen questionne la pertinence de certains critères définis par la HAS. Dans ses recommandations, l'autorité sanitaire estime que les patients présentant au moins un critère majeur d'exclusion (présence d'une pathologie chronique non stabilisée, obésité morbide, grossesse…) ou bien ceux présentant au moins deux critères mineurs (âge supérieur à 70 ans, cirrhose, diabète équilibré…) ne peuvent bénéficier de l'oxygénothérapie à domicile. « Il n'y a rien dans la littérature justifiant cette notion de critères majeurs et de critères mineurs pour sélectionner les patients, avance la pneumologue. Cette méthode nous a gênés alors que le Haut Conseil de la santé publique (HCPS) a déjà établi une liste de personnes à risque sur la base de publications. »
La présidente de la SPLF déplore également ne pas avoir été entendue sur les notions de pneumologue référent et de suivi des éventuelles séquelles que la société savante avait proposées.
Médecine de catastrophe
À ce jour, la SPLF n'a eu aucun retour de la HAS à la suite de son refus d'être associée à ces recommandations. La SPLF a donc décidé de diffuser son document de bonnes pratiques pour l'oxygénothérapie en contexte de Covid. « Nous avons voulu un document très pratique avec un exemple d'ordonnance pour illustrer la façon dont l'oxygène doit être prescrit et nous avons précisé ce qui relève de la responsabilité du prescripteur », détaille la Pr Raherison-Semjen.
Pour le Pr Olivier Saint-Lary, président du Conseil scientifique du Collège national des généralistes enseignants (CNGE), « ces recommandations ont le mérite de poser un cadre autour de l'oxygénothérapie à domicile ». Néanmoins, il souligne également une « zone d'incertitude » concernant le risque encouru par les patients en phase initiale de la maladie. De plus, « mettre en œuvre l'oxygénothérapie à domicile pour ce profil de patient revient quelque part à admettre que l'on est dans une médecine de catastrophe, avec une impossibilité d'hospitaliser ces patients. Je ne crois pas qu'on en soit encore là aujourd'hui », estime le Pr Saint-Lary, qui s'exprime en son nom, alors que le Conseil scientifique du CNGE ne s'est pas encore prononcé.
« La situation sanitaire actuelle est-elle aussi grave que ce syndicat [N.D.L.R. syndicat MG France] en vienne à envisager de développer des stratégies de prise en charge relevant d’une pratique de médecine de catastrophe ? À tel point que l’hôpital ne pourrait plus accepter de patients nécessitant une oxygénothérapie ? », s'interroge également le collectif « Du côté de la science ».