Amarrée aux rives du Guadalquivir, « la Belle de Cadix » est fin prête. Pas peu fière de naviguer aussi bien sur les fleuves qu’en mer, elle arbore trois ponts et 98 spacieuses cabines. C’est elle, qui, huit jours durant, mène la danse des belles Andalouses. Séville l’exaltée donne le tempo ! Nul temps mort, tant la pétulante Sévillane bruisse, sortie de sa torpeur en fin d’après-midi. Un coup d’œil depuis le pont soleil du bateau dévoile déjà ses courbes architecturales arabo-andalouses. Riche héritière de la présence arabe et d’un monopole commercial avec les Amériques, la ville vit au rythme du Guadalquivir, l’unique fleuve espagnol navigable. Magellan et Colomb se sont élancés de ses rives vers le Nouveau Monde. Aujourd'hui il est agréable, depuis notre cabine, de s’attarder sur le ballet des kayaks et avirons. Avant de se lancer vers le centre palpitant de Séville.
On entre dans la capitale andalouse comme on pénètre dans un atelier de peintre. Par la lumière, les couleurs ocre, mordorées, les clartés de la nuit. Et par les parfums. Les jacarandas aux grappes bleu lavande et les orangers, au nombre de 40 000. Certains affirment qu’on les doit aux marchands arabes. D’autres aux marins génois… Peu importe. Il n’y a au monde plus vaste verger urbain d’agrumes. Proche du parc Maria Luisa, la Séville de l’exposition ibéro-américaine de 1929 nous tend les bras. Avec la féerique place d’Espagne, construite pour l’occasion. Plus loin, les pavillons, souvent abandonnés, de l'exposition universelle de 1992. Au cœur de la cité, impossible de ne pas admirer l’Alcazar, chef-d’œuvre de l’art mudéjar. Bâtie sur les vestiges d’une mosquée des Almohades, Santa Maria de la Sede, la plus grande cathédrale d’Espagne. L’ancien minaret surmonté d’une girouette, la Giralda, lui sert de clocher. L’édifice abrite, entre autres, le plus grand retable de la chrétienté et le mausolée de Christophe Colomb.
D’une belle à l’autre, escapade matinale. Rendez-vous, par la route cette fois, avec Grenade la rouge. Campée au pied de la Sierra Nevada, cette autre Andalouse dévoile au gré de la lumière les éclats couleur sang de l’Alhambra. Capitale des héritiers des califats de Damas, la forteresse vermeille fut, jusqu’en 1492, la demeure des rois musulmans d’Espagne, les sultans nasrides, aux palais enchanteurs. Façades ornées de sourates, stucs finement ciselés et plafonds damasquinés. Fontaines des patios et jardins d’été du Généralife. Difficile de résister à l’appel des Mille et une Nuits. Beaucoup ont succombé ! Comme l’écrivain-voyageur américain Washington Irving, auteur en 1832 des « Contes de l’Alhambra ».
Mais retrouvons « la Belle de Cadix ». L’unique, qui nous transporte… au gré des murmures du fleuve. Et de l’horizon ourlé de roseaux et de rizières. Rêveries que semblent partager cigognes, hérons et flamants roses sur les rives marécageuses du parc de Doñana. On accoste à Isla Minima pour un spectacle équestre à l’hacienda Puebla del Rio. Le rouge et le noir s’affrontent dans l'arène à travers la danse. Et l’éblouissement ne doit rien au soleil.
Rideau pour une escale de nuit. Et cap sur Cadix, la plus ancienne cité d'Occident, fondée il y a 3 000 ans par les Phéniciens. Aussi passionnée que ses rivales, la ville ne renvoie pas qu'à une chanson d’opérette. Un transcendant flamenco à La Cava suffit à convaincre de son énergique sensualité. Affectueusement surnommée « petite tasse d’argent », Cadix se savoure sans modération. Infatigable malgré son grand âge. Elle en déboussole plus d’un dans le dédale de ses 29 quartiers aux blanches ruelles. Entre terrasses et bars, la Plaza de San Juan de Dios est un lieu de festivités. Gonflées à bloc, deux figurines se tortillent joyeusement sur la façade néoclassique de l’hôtel de ville. Saluant le top départ du célèbre carnaval de Cadix. Rois de la fête, petits et grands se pressent jusqu’aux parvis de la cathédrale « Nueva ».
Une Belle de Cadix chassant l’autre, notre navire amorce sa remontée après une incursion sur le Guadiana portugais. Pas question pour autant de rater la divine Cordoba. Plus discrète des Andalouses, Cordoue n’en est pas moins attrayante, avec sa mosquée-cathédrale. C’est ici que l’on touche à la quintessence de l’architecture omeyyade. Époustouflante Mezquita ! Extraordinaire forêt de colonnes de jaspe et de granit. Soutenue, comme autant de jours de l’année, par 365 arcs blanc et rouge brique. Chef-d’œuvre construit en 785 sous le règne de l’émir Abd al-Rahman 1er et sur les vestiges d’une basilique visigothe, la Mezquita a été depuis modifiée plusieurs fois. Ses héritages multiples en font le témoin privilégié de l’art et de la foi. On ne se lasse pas de contempler, encore et encore, la plus orientale des Andalouses.