Cent millions de touristes en 2030. Tel est l’objectif que s’est fixé l’Arabie saoudite depuis que le pays a décidé de passer d’une économie exclusivement pétrolière à un mix élargi aux secteurs des nouvelles énergies, de la logistique et… du tourisme. Ainsi fut la décision de Mohammed ben Salmane, prince héritier résolu à bousculer les conservatismes du royaume tout en affirmant une stature d’homme d’État réfractaire à toute contestation – l’affaire Khashoggi, journaliste dissident assassiné par le pouvoir, et les nombreuses exécutions capitales en sont des preuves effarantes. Si l’argent ne peut pas tout acheter, au moins donne-t-il des moyens illimités. Le fonds souverain du royaume, gavé par les dividendes pétroliers amassés depuis des lustres, finance trois projets touristiques gigantesques : The Red Sea, Neom et Diriyah.
The Red Sea est le plus avancé. À trois heures de route d’Al Ula, il prévoit la construction de 50 hôtels et 1 000 résidences au bord de la mer Rouge et sur une vingtaine d’îles désertes. Un aéroport international et six resorts ouvrent cette année et les plus grandes chaînes hôtelières ont déjà signé des accords de partenariat. Vendu comme « écologique », le projet vise le marché de l’hyperluxe. On s’interroge : qu’y a-t-il d’écologique quand on défigure une zone vierge pour le seul plaisir de clients fortunés, même si l’on promet des transferts en véhicules électriques entre l’aéroport et les hôtels ?
Le deuxième projet est encore plus fou. Neom prévoit d’aménager 450 km de côtes près de la Jordanie et du Sinaï. But : créer une nouvelle destination vacances, avec entre autres une station de ski dans les arrières-montagnes, et... une aire d’habitat, avec The Line, une barre habitée de… 170 km, qui pourrait accueillir 9 millions de personnes !
Diriyah Destination est la troisième idée pour atteindre 100 millions de visiteurs, pèlerins de La Mecque et touristes nationaux inclus. Dans cette ville située à 20 minutes de Riyadh, un pôle de loisirs de 1 200 boutiques et restaurants, avec une vingtaine de musées et d’hôtels d’ultraluxe est annoncé. Titanesque.
Les Saoudiens mènent ces projets avec professionnalisme, sous la houlette de ressortissants formés à l’étranger et l’aide de cabinets anglo-saxons rompus au marketing et à l’ingénierie. La preuve avec Al Ula, tête de pont du tourisme saoudien, qui agrège le meilleur des atouts naturels et culturels de la destination. C’est dans cette vallée désertique du nord-ouest du pays que des Nabatéens venus de Pétra, en Jordanie, s’installèrent au Ier siècle avant J.-C. Au carrefour de pistes caravanières, ils sculptèrent de gigantesques tombeaux dans le roc. Le principal est Hegra, classé au patrimoine mondial par l’Unesco. Al Ula livre des paysages spectaculaires, à l’image d’Elephant Rock, énorme bloc rocheux à l’allure de pachyderme. D’autres sites sont aménagés : l’ancienne ville de Dadan et ses 700 caveaux creusés dans une falaise ; Jabal Ikmah et ses inscriptions rupestres, peut-être à l’origine de l’écriture arabe ; Harrat Viewpoint, panorama plongeant sur la vallée agricole. Al Ula est déjà dotée d’un aéroport international, d’hôtels de luxe et d’un prochain resort signé Jean Nouvel (le Sharaan), creusé dans la roche. Le territoire se flatte aussi d’accueillir Maraya, un palais des glaces de 500 places, véritable salle de spectacles du désert.
Visiter Riyadh et Djeddah, les deux métropoles du pays, permet d’observer une nation en mouvement. Dans l’enfer automobile de Riyadh, Boulevard, ouvert en 2019, est l’enclave de divertissement à la mode. Sur 900 000 m², Saoudiens, visiteurs du Golfe Persique et Occidentaux s’y baladent en sécurité, entre boutiques de mode, cafés-terrasses, places à fontaines et écrans publicitaires dernier cri. Ici, les femmes ne portent pas toutes le niqab, certaines se contentent du foulard (le hidjab). On dirait un parc d’attraction pour classes aisées – l’accès, payant, sélectionne les entrants. Ailleurs en ville, la passerelle du Sky Bridge Experience, en haut du Kingdom Center, domine le Financial District et le gigantesque quartier d’affaires et résidentiel d’Al Olaya. Ils sont les témoins de l’essor économique fulgurant de cette capitale de 7 millions d’habitants.
Bordant la mer Rouge, Djeddah a l’ambition de devenir la capitale balnéaire du pays. Avec ses grands hôtels et résidences en chantier, son circuit de Formule 1, ses marinas et ses splendides fonds sous-marins, elle veut entrer dans la cour des grands. Ses plus de 200 marchés et shopping malls – le mot sobriété n’est pas encore entré dans le vocabulaire saoudien… – et sa fastueuse avenue Tahlia Street aux boutiques de luxe, raviront les fashionitas. Plus typique, Old City protège une architecture ancienne. À l’heure de l’appel à la prière, il y flotte un parfum d’Arabie d’autrefois. L’ensemble de la ville est animé d’une frénésie commerçante. Elle est encouragée par le pouvoir, qui libère les forces d’entrepreneuriat à ceux qui en ont les moyens, donnant aux femmes bien nées la possibilité de prendre des responsabilités mais laissant quantité de citoyens non Saoudiens végéter dans des emplois subalternes.