Le sénateur Bruno Belin (élu au Sénat en septembre 2020) en est convaincu, l’histoire locale participe du lien social en milieu rural. Depuis mars 1991, il est pharmacien titulaire à Monts-sur-Guesnes, village dont il a aussi été le maire de 2001 à 2015, étant également très impliqué au niveau départemental et au sein de la Communauté de communes du Pays Loudunais.
Sa profession de pharmacien le place au cœur des histoires humaines du quotidien. À son comptoir des générations de familles se succèdent. Une connexion avec la population qu’il revendique et qui l’a fait récemment monter au créneau pour interpeller le gouvernement sur le rôle crucial des pharmaciens au cœur de la crise du Covid-19 (voir « le Quotidien du pharmacien » du 26 mars 2021). C’est bien ce même intérêt pour la relation de confiance et d’écoute qui doit exister entre le pharmacien et sa clientèle qui anime sa passion pour l’histoire locale (il est le président fondateur des Journées de l’histoire de Monts-sur-Guesnes et auteur de plusieurs livres ancrés dans le récit de l’histoire locale), et plus spécifiquement pour l’histoire de la pharmacie.
Depuis plusieurs années, il glane et chine localement les anciennes pièces qui meublaient autrefois son officine de village. « Quand je suis arrivé, il y avait déjà un peu de mobilier ancien. Mais la majorité avait été perdu, revendu ou détruit pour laisser place aux colonnes tiroirs modernes et à l’informatique. J’ai alors entrepris de tout récupérer pour reconstituer ce patrimoine pharmaceutique. » Une vraie chasse au trésor pour faire revivre une pharmacie vieille de 140 ans, née le 7 janvier 1882 avec le premier pharmacien du village, un dénommé Jules Grandjean. La chance sourit à Bruno Belin qui retrouve le grand buffet-comptoir qui avait officié plus de 100 ans, de 1880 à 1980, et qui dormait depuis une trentaine d’années dans la grange d’un village voisin de Monts-sur-Guesnes. « J’ai identifié le comptoir d’origine, puis je l’ai fait restaurer par un menuisier local. Vous vous rendez compte que des centaines de personnes ont délivré ici des médicaments. Il y a même encore des traces d’éosine que j’ai pris soin de conserver », décrit-il, ému et enthousiaste.
Passeur d’histoire
Désormais, c’est dans un local de 15 m2 attenant à son officine que le mobilier et les objets historiques récupérés ont pris place. Les murs sont tapissés des hautes étagères en chêne et garnis de flacons en verre de toutes tailles. S’alignent aussi des piluliers, des mortiers et des documents relatifs aux anciens pharmaciens qui se sont succédé dans ce lieu. Au centre, le vieux comptoir restauré accueille deux trébuchets. Il s’agit d’une véritable reconstitution de l’officine d’origine dont Bruno Belin fait la visite lui-même, en véritable passeur d’histoire : « 95 % des objets sont issus de ce lieu, y compris la pendule » précise-t-il avec fierté. C’est en effet un des objets les plus remarquables de l’ensemble. Signée Maximilien Hettick, elle a été fabriquée à Monts-sur-Guesnes au tournant du XIXe et du XXe siècle par le beau-père du pharmacien de l’époque. Retrouvée au musée municipal d’Airvault dans les Deux-Sèvres où elle était conservée, elle a donc retrouvé son nid d’origine.
Mais ce qui tient le plus à cœur à Bruno Belin, c’est la série des ordonnanciers, complète depuis 1903. Retrouvés dans le grenier de la pharmacie, ils sont les témoins privilégiés de l’histoire de l’officine et de l’histoire du village : « Aujourd’hui, les jeunes générations ne savent pas ce qu’était un ordonnancier écrit à la main à l’encre bleu méthylène. Ce bleu a traversé les époques et nous montre combien le métier a changé depuis 140 ans. Tenez, par exemple, à la date de 1919, on voit un pic de prescriptions des antipyrétiques, au moment de l’épidémie de grippe espagnole, à un autre endroit, en date du 19 août 1944, une croix rouge marque l’activité du pharmacien alors qu’il avait été pris en otage par la division allemande Das Reich qui faisait sa remontée de la France », explique-t-il avec détails.
Depuis quelque temps, les habitants du village amènent spontanément des objets pour enrichir ce petit patrimoine pharmaceutique attachant et certains ont aussi la curiosité de comprendre de quelles maladies leurs ancêtres sont morts. L’ordonnancier peut fournir des éléments précieux sur de vieilles histoires de famille tombées dans l’oubli, comme cet oncle décédé en juillet 1940, probablement d’insolation pendant les moissons au vu du traitement prescrit et de la météo de l’époque. Ces ordonnanciers suivent le cours d’une petite histoire, celle d’un quotidien qui a rythmé la vie du village, ainsi que les évolutions médicamenteuses de la profession de pharmacien.
De la botanique à la chimie
« J’aime faire visiter ce lieu, raconter comment on est passé de la botanique à la chimie, quelle est l’histoire des cachets, des piluliers, des moules à suppositoires, j’ai aussi accroché des photographies anciennes qui montrent la pharmacie à différentes époques. Beaucoup d’habitants y sont très sensibles », abonde le titulaire, en réitérant son admiration pour l’engagement de ses confrères auprès de la population : « C’est ça le métier de pharmacien, c’est le bon échelon de proximité, ce sont les histoires du quotidien qui nous sont confiées. Ici, on a vacciné une génération qui a connu le vaccin contre la polio, la tuberculose, et aujourd’hui on vaccine contre le Covid, 17 000 officines vaccinent actuellement en France », lance-t-il en confiant qu’il a précieusement gardé les premiers flacons du vaccin anti-Covid, qui intégreront bientôt les étagères de son petit « musée » de la pharmacie.
La passion de l’histoire et de son métier chevillé au corps, le pharmacien-sénateur espère que « la chapelle » sera préservée longtemps. Une de ses jeunes préparatrices serait déjà acquise à la cause pour en prendre soin. « La chapelle » c’est le surnom qu’il a donné à ce petit lieu de mémoire pharmaceutique qu’il a recréé et dont il fera la visite commentée pour les prochaines Journées du patrimoine. Dans l’intervalle, l’activité de l’officine bat son plein, et le soir, Bruno Belin s’accorde parfois un temps de pause au milieu de ses pots et de ses étiquettes centenaires.
Pharmacie Belin, 24 Place Frezeau de la Frezellière, 86420 Monts-sur-Guesnes.
À lire : Bruno Belin, « Le passé singulier d’une pharmacie de campagne », éd. Michel Fontaine 2009 (Prix de l’Académie nationale de pharmacie en 2010).