Il s'agit d'un terme passe-partout qui masque en réalité, sous un vocable agréable et flatteur pour l'identité nationale, des pulsions démagogiques, l'aversion pour les alliances, donc pour l'Europe, une sorte de nostalgie coupable pour Donald Trump et la fausse idée selon laquelle, si nous sommes seuls à nous occuper de nos affaires, si nous rejetons tous les autres, si nous cédons à l'égoïsme, nous irons mieux. Comme si nos déboires n'étaient pas liés à nos erreurs, à notre manque de perspicacité ou tout simplement à la fatalité, comme l'a démontré la pandémie, contre laquelle, il est vrai, nous étions bien mal préparés.
Le souverainisme, en fait, est un autre mot pour le nationalisme qui, dans l'histoire de notre pays, a connu des succès divers, au détriment de nos valeurs, de notre réputation et parfois de notre bonheur. Il vaut mieux parler de patriotisme dont le nationalisme est le cancer, comme le dit si bien Romain Gary. De sorte qu'une faction dissidente du Rassemblement national créée par Florian Philippot, a pris le nom de « Patriotes » : il est préférable de se parer de vertus que l'on n'a pas si l'on souhaite séduire plus de monde, ce qui n'est pas le cas de M. Philippot.
Le souverainisme a fait des ravages au Royaume-Uni et ses promoteurs sont bien les seuls à voir une victoire dans l'accomplissement du Brexit, censé rendre à ce pays tous les instruments de son action politique, commerciale et morale. Nous avons tout le temps d'en faire occasionnellement le bilan, quand son économie aura assez souffert de son énorme erreur stratégique. Mais dès le départ de cette mésaventure anglaise, nous avons tous vu que, pour progresser dans cette funeste entreprise, il fallait user du mensonge, de la démagogie, du travestissement de la vérité et du cynisme. Ce qui pose bien sûr la question de la fin et des moyens. Ceux-ci doivent être enthousiasmants, propres à augmenter la fierté d'un peuple. Ils ne doivent pas paraître d'inspiration si médiocre que déjà leur usage montre que la cause est mauvaise.
La nécessité de faire la paix
En revanche, il faut bien le dire, si le Royaume-Uni a réussi à larguer ses amarres européennes, c'est bien parce que le souverainisme, présenté comme une martingale miraculeuse, exerce sur tous les peuples un attrait parfois irrésistible. Ce n'est pas, en vérité, que le projet européen ne rencontre pas des difficultés et ne commet pas d'erreurs ; ni qu'il n'est pas perverti par ceux-là même qui y adhèrent, plus pour en tirer avantage que pour faire des concessions à l'union. Mais il contient une force aussi inéluctable que la gravité : il est né, après deux guerres mondiales de la nécessité de trouver les voies et moyens de la paix. C'est quand même autre chose, historiquement, politiquement et moralement, que l'espoir mesquin d'obtenir des privilèges commerciaux, ce qui est la caractéristique de la démarche de Boris Johnson.
Dans ces conditions, pourquoi devrions-nous adhérer à ce que nous proposent deux ou trois hommes politiques, qui se trouvent peut-être des affinités souverainistes, mais en revendiquent chacun la paternité et dont on verra très vite qu'ils ne sont d'accord sur rien d'autre ? Le souverainisme n'est pas la panacée, c'est la recette d'un désastre. Les Anglais, encore une fois, s'en apercevront quand ils feront le bilan d'une année de Brexit. Les Français ne dresseraient des barrières contre les importations qu’en réduisant d’autant leurs exportations. Ils ne se mettraient à l’abri des cultures étrangères qu’au prix de l’affaiblissement d’un rayonnement de la leur. Ils n’exalteraient leur indépendance qu’au prix de leur perte d’influence.
Avant même que le débat ne soit ouvert à la faveur de la campagne des présidentielles, il est bon de rappeler qu'en matière de philosophie politique les tenants d'une solution unique à toutes sortes de problèmes nous racontent des fadaises, car chaque problème a sa propre solution. Et placer sur les abandons de souveraineté rendus nécessaires par la paix et la coopération la responsabilité de nos contrariétés est tout à fait absurde. Cela revient à combattre une pandémie en érigeant un mur. Le virus passe au-dessus ou à travers.