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Le Pérou, pays aux mille couleurs

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Publié le 03/11/2022
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Entre Lima, le littoral Pacifique et le haut plateau andin, la destination révèle des univers plus chamarrés que celui du Machu Picchu, dans son amphithéâtre de sommets verdoyants. Couleur cendre, la côte, où règnent la capitale et les vestiges méconnus des civilisations pré-Incas, tranche avec la puna d’altitude, royaume des paysages grandioses et irisés.

Salines de Maras

Les Salines de Maras
Crédit photo : PHOTOS PHILIPPE BOURGET

Faut-il visiter Lima ? À lire les commentaires sur la capitale péruvienne et les romans de Mario Vargas LLosa (« La Ville et les Chiens »), la question se pose. Fondée par les Espagnols en 1535, la mégapole de 11 millions d’habitants ne brille guère par sa lumière, couverte à longueur d’année ou presque par une brume grise et baignée dans la garúa, cette fine bruine qui la nimbe d’une humidité mélancolique. Cependant, comme toute cité d’allure quelconque, son attrait se niche dans les détails. À Barranco, plus petit quartier de la ville, le bâti coloré tranche avec le décor grisâtre ambiant. Ce secteur coche toutes les cases du parfait secteur branché. Son cœur trendy bat entre la plaza municipal et la Bajada de Baños, dégringolade vers le Pacifique scandée de maisons à terrasses devenues des bars et des restaurants. L’animation nocturne et le street art, symbolisé par les œuvres murales de Jade Rivera, complètent le pedigree d’un quartier fort apprécié des touristes. Ailleurs à Lima, on flânera dans Miraflorés, zone business et maritime bordée d’un malecón piéton et émaillée de quintas des années 1930. On ira voir aussi la plaza de Armas et son couvent Santo Domingo, et visiter le musée Larco, hommage aux civilisations pré-Incas avec ses 50 000 poteries.

Moche, Labayeque, Chimú, ces pré-Incas ont notamment régné sur la côte nord du Pacifique. En moins d’une heure d’avion depuis Lima, on atterrit à Trujillo, au carrefour d’une majorité de sites. Dans ce Pérou où l’Empire Inca préempte l’image précolombienne, ce littoral agricole est le berceau des civilisations antérieures. Pourtant, peu de touristes connaissent les places de Chan Chan, de Tucumé, de Sipan, des Temples du Soleil et de la Lune… Du tournant de notre ère jusqu’à l’avènement des Incas, au XIIIe siècle, cette « mémoire enfouie » révèle la présence de trois civilisations successives ou entremêlées : les Moche, les Lambayeque et les Chimú.

L’un des sites les plus faciles d’accès est celui des Temples du Soleil et de la Lune. Fief des Moche, peuple ayant rayonné durant les six premiers siècles de notre ère, le Temple de la Lune, en briques d’adobe, présente des motifs colorés de soldats en armes, de prêtres, de pêcheurs, de dragons, de serpents… L’intérieur de la pyramide (24 m de haut), dévoile des pièces cérémonielles avec des tombes, des autels… Les pré-Incas bâtissaient leurs pyramides en plateaux. La preuve en est apportée à El Brujo, au nord de Trujillo. Les terrasses de Caõ Viejo, l’un des trois temples de ce complexe Moche, sont décorées de motifs humains. Installées dans des vallées tournées vers l’océan, les pré-Incas vivaient de pêche et d’agriculture. À Huanchaco, on utilise encore les caballitos de totora, les mêmes embarcations en osier dont se servaient déjà les Moche.

Ce nord péruvien est une mine d’or pour les fans d’archéologie. Près de Chiclayo, quatrième ville du Pérou, se trouve un lieu ayant déchaîné les passions : Huaca Rajada. On y a découvert en 1987 la tombe du Seigneur de Sipán, un Moche, le « Toutankhamon de l’Amérique du Sud » ! La sépulture contenant bijoux et ornements a permis de cerner leurs coutumes. La collection est à voir au splendide musée des Tombes Royales de Sipán. La période pré-Inca, ce sont aussi les Chimú. Cette civilisation (XIe-XVe) serait la dernière à avoir construit des pyramides. On peut les découvrir à Tucumé, à 45 minutes de Chiclayo. Plusieurs émergent du paysage, ravinées par l’érosion. De retour à Trujillo, un autre crochet s’impose : Chan Chan, ex-capitale des Chimú. Émotion devant ces murailles du désert encadrant une large esplanade, des savoirs architecturaux et sociaux dont s’inspirèrent largement les Incas pour faire briller leur civilisation.

S’imprégner de leur culture exige de mettre cap sur le haut plateau andin. Après Lima, l’arrivée à Cuzco est un choc. À 3 400 m d’altitude, la ville s’étend dans une vallée et monte à l’assaut des versants pelés de la sierra péruvienne. Le souffle est coupé par ce formidable décor d’une cité de 500 000 habitants posée au creux des montagnes, sous un ciel bleu éclatant. Symbole de l’Amérique coloniale après l’arrivée des Espagnols au XVIe, elle a perdu trace de sa splendeur Inca. Autour de la plaza de Armas, couvents et églises rayonnent, sur fond de rares vestiges précolombiens (Palais de l’Archevêché, forteresse de Sacsayhuamán…).

Entre Cuzco et le Machu Picchu s’étire la Vallée Sacrée. Un plateau montagneux égrené de villages paysans, de lagunes, de champs de céréales dorés, de moutons, d’alpagas et de femmes portant leurs bébés dans le dos, enveloppés dans des tissus colorés. Le tout sur fond de sommets enneigés dépassant les 5 000 m. Magnifique ! Les Incas avaient fait leur cette terre altière, en témoignent les extraordinaires salines de Maras et le site de Moray, laboratoire agronomique précolombien. Dans ce décor fantastique, il faut bien sûr se rendre au Machu Picchu. Plutôt que d’y aller en bus, mieux vaut tenter la randonnée d’une journée. Après un trajet insolite en train depuis Ollantaytambo et plus de 6 heures de marche par le Chemin de l’Inca, la vision soudaine de cette vaste cité posée dans un amphithéâtre de montagnes est à cocher d’une croix d’or sur son carnet de voyage.

 

 

Philippe Bourget
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Source : Le Quotidien du Pharmacien