Les Occidentaux expliquent leur retenue par la crainte d'une extension du conflit jusqu'à l'usage des armes nucléaires. On ne peut pas exclure, en effet, qu'un Poutine aux abois, dont les exactions ont couvert de honte la Russie, cherche à se venger en déclenchant une guerre mondiale. Manifestement, il y a un ingrédient, dans sa démarche, qui trahit la rage incontrôlable engendrée par ses revers militaires. Poutine, en effet, a tout perdu à l'occasion de cette mésaventure : l'honneur historique de la grande Russie, sa compatibilité relative avec un environnement démocratique, cette fierté nationale dont il a tant profité. Les Ukrainiens ont donc été obligés de payer de leur sang leur courage, leur détermination, leur sacrifice.
Les appels à un acte de justice internationale contre Poutine, les généraux et les oligarques qui l'entourent, se multiplient. Leur mérite est de préparer l'avenir et de faire savoir au dictateur qu'il ne s'en tirera pas facilement et qu'il a tout à craindre de l'après-guerre, qu'il soit encore ou non le maître du Kremlin. Mais c'est aujourd'hui qu'il doit encaisser la rétribution de ses crimes, parfaitement documentés en dépit d'une propagande qui atteint des sommets d'irrationnel. Poutine vit dans sa bulle, il n'a plus le contact avec la réalité stratégique, il ne sait plus ce qu'est l'humanisme, il est prêt à sacrifier Russes et Ukrainiens à sa vision politique : il veut rétablir les superstructures de l'empire russe en niant aux Ukrainiens et à tant d'autres leur nationalisme et leur liberté.
Une punition à la hauteur des crimes
C'est le chic des Occidentaux de poser des « lignes » à ne pas franchir. Il y a des semaines que l'armée russe les a franchies en bombardant ou en exécutant des civils, en choisissant ses cibles parmi les hôpitaux et les maternités, en semant la terreur chez les civils pour les sidérer. On ne dira jamais assez de quel bois ce peuple est fait ; on ne dira jamais assez que Poutine a réintroduit en Europe les pensées et les actes de l'hitlérisme ; on ne dira jamais assez à quel point son comportement est anachronique, féroce, cruel, et qu'il réclame une rétribution à la mesure des crimes commis par la Russie. C'est à Moscou qu'il sème la peur pour obliger ses généraux et ses acolytes à faire le sale travail : toute une jeunesse russe a été envoyée au front qui rêve en réalité d'un travail et d'un salaire. Tout un peuple, qui a connu les pires exactions, la peur, la guerre, qui a payé le prix fort de son intégrité territoriale, qui a souffert aux mains de ses ennemis et de ses dirigeants, de Lénine à Staline et à Khrouchtchev, s'est couvert de honte et de mauvaise réputation.
Le temps fera son œuvre. Poutine paiera et les Russes finiront par ouvrir les yeux s'ils ne veulent pas laisser dans l'histoire la trace ignoble qu'ils sont en train de creuser. Tailladée, défigurée, presque anéantie, l'Ukraine martyrisée mais vaillante se redressera. On ne fait pas plier un peuple qui a montré autant de courage, autant d'unité, autant de sens du sacrifice. La victoire de la liberté n'est pas pour aujourd'hui, mais elle est inscrite dans la bataille inégale qui est en train de se dérouler. Entretemps, il va falloir que nous Occidentaux, franchissions aussi les lignes. Il n'appartient pas au conquérant d'imposer les règles de cette guerre. Il n'a respecté aucun devoir, il n'a aucun droit.