Le coup vient de si loin, il est si brutal, il traite la France avec tant d'irrespect que les chancelleries se demandent jusqu'où la crise ainsi ouverte par Joe Biden peut aller, si l'OTAN ne va pas en être déstabilisée, et si le gouvernement américain, dans sa passion anti-chinoise, ne devient pas fou. De même, les autorités australiennes, certes peu désireuses de fâcher le grand frère américain, ont leur part de responsabilité dans l'affaire : elles avaient déjà un contrat avec la France, 500 Australiens étaient déjà installés dans les chantiers navals français pour participer à la construction des douze sous-marins et, avant toute initiative, elles auraient dû informer la France et passer un nouveau marché avec elle.
Elles n'en ont rien fait, plongeant dans la colère le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian. Le gouvernement se pose la question de ses relations à venir avec Washington et Canberra. Il ne comprend pas un comportement de Biden au moins aussi léger et malhonnête que celui de Trump. Il cherche les conséquences juridiques du contrat bafoué. Le problème, c'est que le coup vient de deux alliés, alors que, jusqu'à présent la France n'attendait d'eux aucune forfaiture de ce genre. Ce qui est terrible, c'est que Biden semble ignorer tout ce qui faisait la qualité des relations franco-américaines, forgées par l'histoire et en principe indestructibles. Élu contre Trump, le président démocrate se conduit exactement comme son prédécesseur dans ses rapports avec la France, comme s'ils les jugeait négligeables et comme s'il était plus important à ses yeux de contrôler l'Australie, ainsi invitée à ne pas s'aventurer dans des transactions hors de l'univers anglo-saxon.
Un acte d'autorité bizarre
L'affaire ne peut qu'alimenter un anti-américanisme déjà visible en Europe après la débâcle afghane. On a le sentiment que ce que le président américain n'a pas pu faire aux talibans, il le fait à la France, dans un geste désespéré d'autorité très contestée. Le précédent afghan n'est pas encourageant : Joe Biden n'a pas cru utile de donner des explications, ni à son peuple ni à ses alliés, au sujet d'une défaite historique à Kaboul, assortie d'un abandon des Afghans à la barbarie. Il est donc peu probable qu'il en donne au gouvernement français au sujet des sous-marins. Difficile en effet d'imaginer un président dire à Emmanuel Macron : « Je suis un voyou, mais je n'ai pas l'intention de me confondre en excuses. Ce qui compte, c'est la loi du plus fort ».
Et pourtant, il ne peut parler ni d'OTAN ni d'Europe s'il ne prend pas le temps d'expliquer, avec des mots choisis, ce qu'il entend faire pour réparer l'acte diplomatique le plus négatif de ce siècle. Il lui faudra beaucoup de persuasion et probablement donner des gages à la France pour calmer son indignation. Les moyens de rétorsion de Paris sont très limités : nous comptons sur les États-Unis pour la lutte contre le terrorisme (partage des renseignements), pour le commerce bilatéral, pour la culture. Nous pouvons d'autant moins boycotter l'Amérique que nous sommes engagés avec elle dans l'OTAN et plus généralement dans la défense contre les menées russes et chinoises. C'est précisément contre la Chine que l'Australie se réarme, mais on ne voit pas pourquoi les sous-marins français seraient moins bons que les Américains.