Jusqu'à présent, les phénomènes migratoires étaient spontanés. Une guerre civile en Syrie ou en Afghanistan déclenchait le départ de millions de personnes qui cherchaient à gagner l'Europe de l'Ouest. Alexandre Loukachenko, l'homme qui a falsifié la plus récente élection pour empêcher l'opposition de prendre le pouvoir et se livre à une cruelle répression de son propre peuple, a trouvé subtil et original de se servir des migrants pour déstabiliser l'Union européenne, dont la Pologne est membre. Il est difficile de croire qu'il a agi seul, sans l'aval de Vladimir Poutine, le maître du Kremlin. En tout cas, le problème posé n'est pas la migration classique de populations affolées, mais l'usage qui en est fait pour exercer un chantage sur l'Union européenne.
La complexité de l'affaire résulte d'une part du mystère qui l'entoure et empêche de porter des accusations précises contre les dirigeants russes et biélorusses, et d'autre part des relations actuelles entre l'UE et la Pologne, qui ne sont pas au beau fixe. L'Europe est en conflit avec Varsovie au sujet d'une loi polonaise qui ne reconnaît pas la supériorité du droit européen sur le droit polonais. La crise est assez sérieuse pour que les Européens aient signifié aux Polonais qu'ils devaient abolir cette loi ou renoncer aux subsides européens, moteur du développement de la Pologne. Varsovie parle d'une ingérence dans ses affaires intérieures quand Bruxelles explique que, sans droit ni démocratie, l'appartenance à l'Union est impossible.
En quelque sorte, l'Europe se bat contre cette première déstabilisation. Mais, dans le chantage exercé par Loukachenko contre la Pologne, l'UE soutient sans réserves le gouvernement polonais, lequel n'est peut être pas trop mécontent de cette affaire qui assure une diversion en pleine crise euro-polonaise. On veut espérer que les Européens n'auront pas la naïveté de céder au mélange des genres. Mais c'est sûr : le danger venu de Biélorussie est au moins aussi grave que celui du déclin du droit et de la justice polonais.
Cynisme et mépris
Il est évident que les Européens doivent traiter en priorité la crise migratoire artificielle inventée, avec quel cynisme et quel mépris pour l'humanité, par Loukachenko, que tout condamne depuis les élections les plus récentes mais qui, sachant qu'il peut être emporté par le vent révolutionnaire, devient irascible, imprévisible, machiavélique et sacrifie honneur et patrie à son immuable statut de président.
Ce n'est pas la première fois que les descendants du communisme européen s'attaquent directement à l'Union européenne, l'exemple à ne pas suivre, le cauchemar de tous les dictateurs et de tous les régimes autoritaires. Comment, en observant Poutine et Loukachenko, ne pas voir un couple de malandrins qui défendent leurs statuts usurpés en tentant de justifier leur analyse de la fin des démocraties et en contribuant activement à cette fin ? S'il y a jamais eu une once d'humanisme au sujet des souffrances des immigrants, victimes de guerres auxquelles la Russie contribue, on ne l'a vue ni à Moscou ni à Minsk.
Russes et Biélorusses se conduisent comme s'ils dirigeaient des pays honnêtes encerclés par les démons du libéralisme et qui défendent leur survie. À leur cynisme légendaire, s'ajoute la posture victimaire propre à cacher leur agressivité. En réalité, c'est l'incompétence de leur gestion qui les conduit à se servir d'armes inacceptables. Poutine et Loukachenko, qui rêvent de rebâtir l'ex-URSS et souhaitent commencer par une union russo-biélorusse, ne cherchent en réalité qu'à protéger leur statut de chef d'État, conséquence de la fraude électorale et de la répression sauvage de leurs oppositions. Cette crise aura le mérite de tester la fermeté de l'Union européenne, pour autant qu'elle existe et n'est pas endommagée par les frictions entre pays membres. Il demeure que, dans ce continent uni par le droit, c'est le droit que veulent assassiner des voyous politiques.