Illustré par Bernard Kouchner, Bernard-Henri Lévy et Jean-Paul Sartre, l'appel au secours des boat people a envoyé au monde un frisson qui a duré des décennies. Depuis la fin des années 1980, la générosité des États riches a été mille fois sollicitée. Toutes les interventions militaires dans des nations déchues, incapables de se gérer, n'étaient pas forcément dictées par la géopolitique ou les intérêts des puissants. Certes, en Irak et en Afghanistan, les États-Unis ont tenté de faire reculer un régime autoritaire ou des bandes de terroristes avec l'objectif de garder leur influence dans la région. Mais, dans d'autres circonstances, au Liban dans les années 1980 par exemple, ou même en Somalie et en Syrie, ils ont tenté de défendre le droit international.
Quelles que fussent leurs intentions, ces tentatives de résoudre le problème par la force ont toutes échoué. Les États-Unis n'ont pas gagné la moindre guerre depuis 1945. Leurs échecs leur ont coûté très cher en hommes et en argent. Pratiquement, depuis Barack Obama, ils ne pensent qu'à se retirer de tous les théâtres d'opérations à l'étranger, une tâche aussi difficile que l'engagement. Mais le pire dans l'affaire, c'est que les raisons qui ont rendu indispensable l'intervention militaire existent toujours. Les États-Unis, la France, la Grande-Bretagne espéraient libérer quelques peuples des dictateurs qui les martyrisaient. Ce ne sont pas des régimes qu'ils abandonnent, mais des peuples en pleine souffrance.
Le cas afghan
Il en va ainsi avec l'Afghanistan. Le peuple afghan mérite la sollicitude mondiale et il est démontré que, sous la tutelle américaine, il a été libéré de tous les carcans, diktats religieux et superstitions qui guidaient ses us et coutumes. On peut parfaitement comprendre le désir américain de mettre un terme à la guerre la plus longue qu'ils aient jamais livrée ; on ne peut pas ne pas se poser la question angoissée de ce que va vite devenir le peuple afghan si, comme c'est probable, les Talibans s'emparent du pouvoir à Kaboul. L'Afghanistan n'est qu'un exemple parmi d'autres. La Libye en est un autre qui commence à peine à émerger d'une guerre civile qui a ravagé le pays ; l'Iran lui-même est un autre cas qui, au terme d'élections contrôlées par le pouvoir religieux, mériterait qu'on vienne balayer le régime. La Syrie, toujours, qui ne renaît de ses cendres que pour avoir pour seule perspective l'éternelle tyrannie de Bachar Al-Assad.
En d'autres termes, le devoir d'ingérence n'a jamais été aussi nécessaire alors qu'il n'est plus du tout appliqué. C'est que, en l'occurrence, c'est un projet vertueux qui, appliqué à la lettre, se heurte au mur des dictatures. Les Russes méritent mieux qu'un président à vie et la perte de leurs libertés fondamentales : mais essayez donc d'aller chercher Vladimir Poutine au Kremlin. La Chine a été transformée par le régime en état policier qui parvient, grâce à l'électronique, à contrôler son milliard et demi de Chinois. Essayez donc de changer le régime de l'extérieur. Le devoir d'ingérence s'écrase sur l'infranchissable mur des réalités. Pour un changement, il ne reste que la subversion interne, la sédition. Elles aussi exigent d'immenses sacrifices.