Les historiens de la pharmacie l’ont déploré à maintes occasions : sur les 13 pharmaciens français… « vignettés » par la Poste, un seul l’a été spécifiquement en tant que pharmacien. Il s’agissait d’Eugène Millon (1812-1867), pharmacien en chef de l’armée d’Algérie, qui fit l’objet d’un timbre émis en 1953 en Algérie française. Berthelot, Parmentier, Pilâtre de Rozier et Louis Jouvet furent, eux, « timbrifiés » pour des mérites extérieurs à la pharmacie, tandis que le titre de plusieurs pharmaciens, comme Henri Moissan, Joseph Pelletier ou Nicolas Vauquelin, fut passé sous silence par leur timbre, qui préféra les présenter comme « chimiste » ou « inventeur », voire sans aucune mention.
La pharmacie proprement dite n’apparaît que deux fois dans la philatélie française. En 1986, la Nouvelle-Calédonie émit un superbe timbre pour célébrer le 120e anniversaire de la création de la première officine de Nouméa : c’est un pharmacien de l’île, Jean-Paul Belhomme, qui obtint cette émission, unique dans l’histoire postale française. En 1995, la pharmacie hospitalière fut célébrée pour les 500 ans de la pharmacie de l’Hôtel-Dieu de Paris, événement qui fit aussi l’objet de deux congrès historiques et de plusieurs publications. Les années 1980-1990 marquent l’apogée de la « philatélie pharmaceutique », avec plusieurs publications et même une thèse de doctorat. Plus récemment, les principales revues philatéliques se sont penchées sur le sujet, en l’élargissant aux cachets et aux flammes d’oblitération à thème pharmaceutique, et jusqu’aux enveloppes et en-têtes utilisées autrefois par les pharmacies et les laboratoires.
De nombreux amateurs
La plupart de nos voisins européens ont évoqué au moins une ou deux fois la profession de pharmacien, souvent à l’occasion de commémorations, à l’image des 750 ans de l’Édit de Salerne (Allemagne, 1991), ou pour saluer une société nationale ou internationale de pharmacie, comme le timbre autrichien évoquant le congrès de la Fédération internationale pharmaceutique (FIP) tenu à Vienne en 1981. Mais ce sont les anciens pays de l’Est, de même que certains pays asiatiques et, surtout, africains, qui ont abordé le plus fréquemment la pharmacie sur leurs timbres. Faut-il y voir la preuve d’une « pharmaphilie » particulièrement ardente ? La réponse est sans doute plus prosaïque : à partir des années 1960, de nombreux pays désargentés prirent conscience de la manne représentée par les émissions de beaux timbres illustrés, très prisés des collectionneurs vivant dans les pays à devises fortes…
Le musée allemand de la pharmacie, à Heidelberg, possède l’une des collections de timbres « pharmaceutiques » les plus complètes au monde, que lui légua un pharmacien passionné, et la met à jour régulièrement.
Même si l’âge d’or de la lettre, comme celui du timbre, semble désormais révolu, la philatélie reste prisée de nombreux amateurs. À l’heure du mail et de la télétransmission, les pharmaciens manient sans doute plus souvent le timbre transdermique que le timbre-poste, mais les émissions évoquant la santé et son histoire ne se tarissent pas pour autant : la Poste émettra le 18 janvier un timbre à l’effigie de Madeleine Brès, première Française reçue docteur en médecine, et il n’est donc pas interdit d’imaginer qu’une pharmacienne rejoigne un jour la galerie de ses confrères « timbrifiés »…