Nous admirons, pour la plupart d'entre nous, les Ukrainiens et leur président. Ils ne font rien d'autre que de défendre, au prix des pires sévices, leur démocratie. Ils se battent jusqu'au dernier souffle, pour préserver leurs choix politiques. Pour eux, c'est un martyre. Pour nous, c'est facile. Les crises sérieuses que nous traversons, le risque d'une expansion de la guerre sur tout le territoire européen nous incitent à participer. Si nous soutenons les Ukrainiens dans leur bataille, nous n'avons aucune raison de ne pas voter.
Il ne s'agit pas ici de vous influencer. Douze candidats, c'est assez pour faire un choix. Peut-être vous semblent-ils trop nombreux, mais vous avez assez de libre-arbitre pour sélectionner celui ou celle qui correspond le mieux à vos idées. Si votre choix ne passe pas le premier tour, vous devez tout autant voter au second pour un président ou une présidente que vous considérez comme le ou la mieux placé(e) pour diriger le pays, étant entendu que nul n'est parfait, même pas l'électeur, qui ne doit pas prendre ses désirs pour des réalités.
L'adéquation absolue entre l'électeur et le candidat est rare et elle est même suspecte. L'électeur n'a que la responsabilité de son vote et il est tenté par un programme absolutiste. Le président est responsable de tous les électeurs, y compris ceux qui ont voté contre lui ou se sont abstenus. Analyse qui suffit à jeter aux orties les contre-analyses selon lesquelles l'élu au second tour n'a obtenu que les voix qui se sont portées sur son nom. C'est une façon d'ignorer la Constitution dont je rappelle qu'elle prévoit le scrutin uninominal majoritaire à deux tours. Le premier tour permet d'éliminer les candidats que l'électorat rejette. Le second permet d'ajouter aux suffrages « naturels » de l'élu ceux qui ont dû forcer leur propre conviction.
Le danger de l'abstention
En effet, il vaut mieux accepter un compromis acceptable que s'abstenir. L'abstention fait peser sur le président élu l'ombre de l'illégitimité. Et il risque de commencer son mandat par une cohabitation avec un parti d'opposition, ce qui ruinerait les réformes qu'il faut accomplir en permanence et quelles que soient les circonstances. Les éléments que j'énonce dans cet article sont valables pour ceux qui préfèrent la stabilité, essence même de la démocratie, à un chaos institutionnel qui coûterait cher à notre société.
L'électorat français est versatile. Il ne se préoccupe guère d'idéologie. Il est capable de passer d'Éric Zemmour à Jean-Luc Mélenchon, ou de Yannick Jadot à Valérie Pécresse. Ce qui, d'une certaine manière, tourne en dérision les beaux discours électoraux, lesquels sont plus souvent une occasion de se casser la figure que de s'imposer. On a cherché par tous les moyens à apporter aux électeurs des instruments de réflexion qui lui permettraient de choisir en connaissance de cause. On n'y est pas parvenu parce que l'éducation civique et morale ne représente pas des heures de classe assez nombreuses. Une sorte d'illettrisme politique s'est donc installée, qui grève les scrutins, notamment parce qu'ils incitent les candidats à recourir à des stratagèmes démagogiques.
Mais le savoir que n'ont pas les électeurs (et d'ailleurs une partie d'entre eux seulement) est largement compensé par leur intuition. Hors des tréteaux dédiés aux saltimbanques, où l'enthousiasme est toujours à son zénith, les votants se méfient des propositions trop favorables à leurs intérêts. Ils savent par exemple faire des comptes et deviner qu'un projet trop coûteux ne sera pas appliqué. Ce qui montre que le vieux procès fait à l'électorat est une trahison de la démocratie. Il n'y a pas d'électeur plus bête qu'un autre et on n'est pas amoindri parce qu'on vote « stupidement » à droite ou à gauche ou encore pour les extrémistes. En ce sens, le premier tour nous met tous à égalité : un homme (ou une femme), un vote. Au second tour, les rangs d'un candidat augmentent jusqu'à la majorité absolue. C'est ainsi que ça marche.