D'un côté, des nuages noirs s'amoncellent sur la candidature d'Emmanuel Macron, usé par la pandémie et ses néfastes conséquences sur le moral des Français et sur la croissance nationale. D'un autre côté, une fois encore, on constate que le président actuel bénéficie des lourds problèmes qu'affrontent une gauche plus productrice de candidats que d'idées neuves, et morcelée par une foule de projets différents, et une droite plongée dans une crise comparable.
Assurément, la candidature de M. Bertrand ne simplifie pas les perspectives, minées par la cohue et les jalousies. Le président des Hauts-de-France a choisi délibérément de quitter les Républicains (LR). Il veut, comme Macron, s'adresser directement au peuple. Il durcit ses positions sur la sécurité, l'immigration et le terrorisme et s'adresse directement à l'électorat de LR, écartelé entre l'attractivité du Rassemblement national et ses querelles internes. Il apparaît aujourd'hui comme le lonely cowboy qui en remontre à la fois au pouvoir et à son ex-famille politique. C'est beaucoup d'arrogance pour un ancien ministre de la Santé de Jacques Chirac qui doit ce qu'il a de notoriété et d'expérience politique à LR. Il est vrai que la condescendance n'a jamais tué personne. D'une forme relative de trahison, il fait un atout.
Un paysage politique confus
Ce qui ne change pas vraiment le paysage politique, toujours confus, toujours imprévisible, toujours inexplicable. Comme si les leçons du passé n'avaient pas été retenues ou comme si l'aventure personnelle d'Emmanuel Macron avait tellement frappé les esprits qu'elle hante encore la présidentielle de 2022. Car c'est Macron que Bertrand imite, c'est son exemple qu'il suit, c'est sa méthode qu'il applique et qui plonge les Républicains dans la fureur. Ils lui reprochent encore d'avoir confisqué leur électorat et que peuvent-ils dire d'autre de Xavier Bertrand, transfuge de la droite classique, mais prompt à solliciter, par le tour réactionnaire que prend sa campagne, ceux des électeurs qui n'ont plus honte de voter pour Marine Le Pen ?
Courageux, et même téméraire (au nom d'une vertu que ne sauraient effacer les calculs politiciens) Bertrand fait de sa victoire à la régionale des Hauts-de-France l'été prochain la condition sine qua non du maintien de sa candidature à la présidence, un peu comme s'il souhaitait multiplier les obstacles qu'elle va devoir franchir. On peut l'admirer pour tant d'abnégation, mais on peut se demander si, avec le plafond atteint par ses chances dans les enquêtes d'opinion, il ne court pas au suicide. On se pose ensuite des questions sur l'incapacité de LR à passer un compromis avec lui, à le ramener dans le giron maternel, à faire un pacte avec lui. Il y a deux raisons à cette impasse : l'aile droite de LR ne lui pardonne pas sa défection et son arrogance, et il est peut-être plus intelligent et plus subtil que ceux auxquels il a affaire.
Quel chemin à parcourir pour un homme qui a si peu d'atouts ! Il ne suffit pas de s'emparer des méthodes du président sortant pour lui ressembler comme un jumeau. C'est un autre des nombreux paradoxes de cette campagne : on accable Macron de sarcasmes et de quolibets, on ne songe qu'à en faire un épouvantail alors qu'il en existe un autre, plus sérieux et plus alarmant que le président, et en même temps, on ne songe qu'à lui ressembler, qu'à utiliser ses propres méthodes, un peu comme si Bertrand disait à Macron : « Je suis capable de faire aussi bien et même mieux que toi ».
Comment ? En singeant Marine Le Pen et sa pseudo-guerre contre les étrangers et le terrorisme ? En renonçant à piquer des voix à gauche ? En approfondissant la césure avec le parti d'origine ? En devenant la copie de l'original ? Nul doute que le chef de l'État se réjouit de la candidature de Xavier Bertrand, du terrible désarroi de la droite, des clivages permanents, historiques de la gauche et ses rapports incertains avec les Verts, de ce chaos, de cet orage parfait qui, en quelque sorte, fait sa richesse, car il est plus fort des divisions de ses adversaires que de son propre bilan, lequel ne manquera pas de s'améliorer dans les mois qui viennent.