Notion récente, remontant aux lendemains de la Seconde guerre mondiale, le premier essai randomisé publié impliquant ce que l’on n’appelait pas encore placebo remonte à 1784, lorsque les Académies de Médecine et des Sciences demandèrent que soit confirmée ou infirmée l’existence du « magnétisme animal », une nouvelle force que croyait avoir découvert le médecin allemand Franz-Anton Mesmer et qu’il pensait susceptible de guérir de nombreuses maladies.
Placebo ou effet placebo ?
Ainsi que le souligne le Dr Didier Bouhassira (Directeur de l’UMR Inserm U 987/UVSQ, Groupe hospitalier Ambroise Paré, Boulogne-Billancourt) « il faut bien différencier l’effet placebo de la réponse placebo. En effet, dans la plupart des essais cliniques on compare une drogue active à un placebo, on admet que la différence entre les effets observés correspond à l’effet réel de la molécule active. Mais cela correspond en fait à la réponse placebo qui est la résultante de nombreux biais en plus de l’effet placebo stricto sensu. Si l’on veut quantifier plus précisément l’effet placebo, il faut créer un troisième groupe, sans traitement, permettant de voir l’évolution spontanée d’un symptôme, comme la douleur par exemple. Dans cette démarche, l’effet placebo correspond alors à la différence entre la réponse placebo et l’effet observé dans le groupe sans traitement ».
De fait, on sait aujourd’hui que l’effet placebo ne représente qu’une petite partie des effets non spécifiques associés à la prise d’un traitement (pas seulement médicamenteux d’ailleurs).
Une réalité à multiples facettes
La réalité de l’effet placebo a notamment été objectivée par la mise en évidence (imagerie) de modifications cérébrales relativement spécifiques. Dans la douleur par exemple, on a observé une diminution de l’activation de structures cérébrales associées à la perception douloureuse et une augmentation de l’activation des structures impliquées dans la modulation de la douleur. À défaut d’explication, un corrélat neurobiologique a été ainsi démontré.
Le pourcentage de répondeurs varie beaucoup selon le type de situation. C’est ainsi qu’en matière de douleur, il varie (au moins 50 % de baisse de l’intensité douloureuse) de 10 à 30 % dans les douleurs neuropathiques, 15 % dans les douleurs dentaires, 20 à 50 % dans la migraine, 15 à 40 % dans la fibromyalgie et 20 % dans les douleurs pancréatiques.
Parmi les facteurs impliqués identifiés de longue date, on peut citer, notamment, la couleur du médicament, le nombre de prises, la voie d’administration, le caractère invasif ou non du traitement (ex : injections intra-articulaires), la qualité de la relation avec le prescripteur…
Pour autant, l’effet placebo n’est pas, et de loin, cantonné à la douleur. Ni même à l'administration de médicaments. En effet, l’effet placebo est aussi observé en chirurgie, en acupuncture et même en psychothérapie.
Un autre point d’intérêt, qui n’est pas sans soulever quelques questions, consiste à se pencher sur la proportion de l’effet placebo dans l’effet globalement observé. C’est ainsi que dans le cas de douleurs arthrosiques, jusqu’à 87 % de l’effet antalgique du paracétamol pourraient être dus à un effet placebo, 75 % en ce qui concerne les anti-inflammatoires non stéroïdiens.
De façon étonnante, dans certaines études, la réponse placebo a même pu être supérieure à celle de la molécule active !
Autre découverte surprenante, alors qu’il était habituel d’affirmer que l’effet placebo dure moins longtemps que celui d’un traitement médicamenteux ou instrumental, il semble que cela ne soit pas le cas, à en croire certaines études.
Une origine encore débattue
Les mécanismes à l’origine de l’effet placebo ne sont pas très clairs. Deux grandes théories sont habituellement avancées : les attentes du patient et le conditionnement (type Pavlov) de ce dernier. On peut mesurer les attentes du patient et assez facilement les moduler par des suggestions verbales. Comme on peut s’y attendre, l’effet placebo est souvent d’autant plus marqué que les attentes sont importantes. Mais il existe aussi des résultats contradictoires (inverses), notamment dans les douleurs chroniques. Quant au conditionnement, lui aussi assez aisément réalisable, il a pu être utilisé, par exemple, pour diminuer la posologie de la morphine.
Vers des applications en clinique ?
Sans épuiser le sujet, décidément très riche, signalons encore une autre approche, assez complexe, susceptible de développements potentiellement intéressants en pratique clinique. Il s’agit du « design balancé » qui consiste à « manipuler » l’information du sujet. Par exemple à lui dire qu’on va lui donner un produit actif alors qu’on lui administre un placebo et vice versa. Dans une étude sur la migraine, le placebo présenté comme un traitement actif a eu le même effet qu’un traitement actif présenté comme un placebo. Et un placebo identifié comme tel a induit des effets supérieurs au non-traitement… Cela suggère qu’on peut donc donner un placebo de façon ouverte et avoir un effet certes inférieur à certaines situations mais tout au moins cliniquement significatif.
D'après la séance de l'Académie nationale de pharmacie du 27 septembre 2023.