Cette crise de santé publique dévastatrice et sans précédent que nous vivons actuellement, qui nous touche toutes et tous d’une façon que nous n’aurions jamais pu imaginer, place de manière inédite la question des médicaments au centre des préoccupations.
Mais, sous la surface, il existe un commerce de produits pharmaceutiques contrefaits bien réel et qui se développe, mettant nos vies en péril et portant préjudice à l’économie. Selon les estimations du tout dernier rapport que nous avons élaboré conjointement avec l’OCDE, le commerce de contrefaçons pharmaceutiques représentait 4 milliards d’EUR en 2016. Ce chiffre exclut les médicaments de contrefaçon produits et consommés au niveau national, ainsi que les cargaisons de produits pharmaceutiques volées en transit et détournées pour être vendues sur un marché ou dans un pays différent.
Les données relatives aux saisies douanières analysées dans le cadre de l’étude indiquent que les antibiotiques, les médicaments « à la mode » et les antidouleurs contrefaits étaient les produits le plus souvent saisis. Mais des traitements contre la malaria, le diabète, l’épilepsie, les maladies cardiaques, les allergies, l’hypertension, le cancer et les ulcères de l’estomac, ainsi que des anesthésiques locaux, faisaient également partie des produits saisis. Outre le fait qu’ils sont très peu susceptibles d’agir, ces produits présentent réellement un risque pour la santé, le bien-être et même la vie.
Les pays en développement sont frappés de plein fouet par ce commerce illicite. Pour ne citer qu’un seul exemple, une opération récemment menée par l’Organisation mondiale des douanes dans 18 ports d’Afrique a permis d’intercepter quelque 259 millions d’unités de médicaments de contrefaçon en huit jours. Par ailleurs, on constate que des médicaments sont souvent vendus dans la rue dans les pays en développement, ce qui permet aux contrefacteurs de s’adonner à un commerce illégal tout en courant un faible risque d’être repérés.
96 % des sites Web sont illégaux
Cependant, les pharmacies en ligne demeurent un élément moteur majeur de ce commerce en Europe et aux États-Unis. En effet, jusqu’à 96 % des sites Web qui proposent des produits pharmaceutiques sont des sites illégaux et le recours accru à des services postaux et à des services de messagerie pour envoyer de petits colis dans le monde entier complique encore la tâche des agents des douanes pour les repérer.
Il s’agit d’un commerce véritablement mondial. En effet, plus de la moitié des médicaments de contrefaçon saisis ces dernières années par les autorités répressives provenaient d’Inde et près d’un tiers de Chine, principalement à destination de l’Afrique, de l’Europe et des États-Unis. Singapour et Hong Kong constituent des points de transit essentiels pour cette chaîne d’approvisionnement, tandis que d’autres itinéraires passent par les Émirats arabes unis, l’Égypte, le Cameroun, la Turquie et le Royaume-Uni. Les entreprises pharmaceutiques des États-Unis, de l’Union européenne et de la Suisse sont les plus durement touchées par la contrefaçon.
Recrudescence des produits de santé contrefaits
Malheureusement, mais inévitablement, la crise du Covid-19 est marquée par une recrudescence des produits de santé contrefaits, des organisations criminelles sans scrupule exploitant les craintes des personnes en cette période difficile. Des actions sont toutefois mises en œuvre, à l’échelon de l’UE et au niveau international, pour contrer les activités de ces malfaiteurs et protéger la santé des personnes. Les autorités douanières nationales ont mené des opérations transfrontalières sous la coordination d’Europol.
S’appuyant sur les relations de travail qu’il entretient avec des acteurs essentiels tels qu’Europol et l’OLAF, l’Observatoire contribue à la coordination des efforts actuellement déployés à cet égard, par exemple en collectant des renseignements auprès des titulaires de droits sur des produits contrefaits ou illégaux liés à l’épidémie de Covid-19 afin de soutenir les opérations. En mars, l’Office européen de lutte antifraude (OLAF) a ouvert une enquête sur l’importation dans l’UE de produits contrefaits utilisés pour lutter contre l’infection au coronavirus, tels que des masques, des solutions hydroalcooliques, des kits de test, des dispositifs médicaux et des produits désinfectants.
Nos partenaires internationaux, (l’OCDE, Interpol et l’Organisation mondiale des douanes, par exemple) sont également particulièrement impliqués. Interpol a constaté une nouvelle tendance en matière de contrefaçon de produits médicaux liés à l’épidémie de coronavirus, et l'opération Pangea XIII a permis aux autorités répressives de 90 pays de prendre des mesures pour lutter contre ce commerce et de repérer plus de 34 000 masques, « vaporisateurs anticoronavirus », « packs coronavirus » ou « médicaments anticoronavirus » contrefaits et non conformes aux normes. Interpol a également élaboré un nouveau guide à l’usage des services chargés de l’application de la loi dans le contexte de la crise actuelle.
Encore plus dangereux
La société civile et l’industrie participent également à ces efforts. Nos parties prenantes du Bureau européen des unions de consommateurs ont publié des conseils à l’intention des consommateurs et la Commission européenne est intervenue afin de protéger les citoyens dans l’environnement en ligne en demandant aux plateformes de supprimer les escroqueries et de mettre un terme aux pratiques déloyales liées à la pandémie de coronavirus.
Le réseau anti-contrefaçon de l’association des entreprises pharmaceutiques de l’UE (Fédération européenne des associations de l’industrie pharmaceutique - EFPIA) a invité l’Observatoire à présenter les principales conclusions du rapport conjoint de l’EUIPO et de l’OCDE sur les médicaments contrefaits et à envisager une possible collaboration en vue de soutenir l’application de la loi dans ce domaine.
Cette période est particulièrement difficile et complexe pour nous tous. Si les médicaments contrefaits représentent une menace directe et réelle pour les consommateurs en temps normal, ils sont encore plus dangereux en cette période de risque accru. Il est souvent difficile de lutter contre des réseaux criminels sophistiqués, aussi des actions concertées et collectives, appuyées par une forte sensibilisation du public à ce fléau, sont essentielles pour mettre un terme à ce commerce particulièrement dangereux et opportuniste.