Les ruptures de stocks n'ont cessé de s'aggraver au comptoir. Selon les données collectées par le GERS, le nombre de références en rupture est passé de 6,5 % en janvier à 12,5 % en août 2022. L'Académie de pharmacie, elle, pointe 3 278 signalements enregistrés sur les premiers mois de l’année.
Toutes les classes sont concernées, mais trois classes parmi les médicaments d'intérêt thérapeutique majeur (MITM) sont plus particulièrement exposées : les anti-infectieux, les médicaments du système nerveux et du système cardiovasculaire. Au comptoir, ces ruptures sont très chronophages : les équipes officinales passent en moyenne 5 heures par semaine pour les gérer. Quant aux causes de ces pénuries, elles sont multifactorielles. On retrouve classiquement, comme le rappelle l'ANSM, une « capacité de production insuffisante, des difficultés lors de la fabrication des matières premières ou des produits finis, des défauts de qualité sur des médicaments, des décisions prises par l'ANSM de suspendre l'activité d'un laboratoire », auxquelles s'ajoutent de nouvelles menaces venant peser sur l'approvisionnement : la guerre en Ukraine et la crise énergétique, qui ont provoqué une hausse des coûts des matières premières et de l'énergie.
Amoxicilline et paracétamol
Parmi les ruptures les plus emblématiques, celle de l'amoxicilline et du paracétamol qui ont été à l'origine de limitations de prescription et de dispensation afin de lutter contre les pénuries. Des ruptures sur les antidiabétiques Trulicity et Ozempic ont également été observées, à tel point que les prescripteurs ont été invités à limiter les initiations de traitement.
Pour l'amoxicilline, le marché des spécialités orales d’amoxicilline et d’amoxicilline/acide clavulanique, notamment les formes pédiatriques, a été très tendu en fin d'année. Deux raisons à cela : l’augmentation mondiale de la consommation d’une part, les difficultés à retrouver les capacités de production d’avant la pandémie de Covid d’autre part. L'ANSM a alors recommandé, lorsque l’antibiothérapie est nécessaire, de prescrire un traitement pour 5 jours maximum dans la plupart des infections courantes. Le recours au TROD angine doit être renforcé, au cabinet médical ou à l’officine (à partir de 10 ans). Enfin, la dispensation à l’unité doit être priorisée. En cas d’indisponibilité totale des spécialités pédiatriques, un report vers les formes adultes en comprimé dispersible ou en poudre en sachet est envisageable, en adaptant les doses au poids de l’enfant. Le retour à un approvisionnement normal des spécialités orales d’amoxicilline est attendu pour le printemps 2023.
Pour le paracétamol, c'est dès avril que des tensions se font sentir sur Doliprane, notamment les gélules 1 000 mg, sans que les autres spécialités à base de paracétamol ne soient concernées. Une tension causée par la hausse de la demande, liée à l'épidémie de Covid ainsi que les maladies hivernales. Afin de ralentir le phénomène, les commandes ont été limitées à 720 unités au maximum par pharmacie. En juillet, de nouvelles tensions sur le paracétamol surgissent, concernant cette fois-ci tous les médicaments à base de paracétamol sous forme orale (sachets, solutions buvables, comprimés gélules) et les suppositoires. L’agence du médicament invite les pharmaciens à limiter leurs commandes, à privilégier la dispensation sur ordonnance et à modérer la vente en ligne de paracétamol. Et aussi, à limiter à deux boîtes par patient la délivrance sans ordonnance.
En septembre, cela recommence, avec de nouvelles tensions d'approvisionnement, notamment des formes pédiatriques, qui persistent toujours en fin d'année. L'ANSM met en place des mesures de contingentement quantitatif et, à nouveau, il est recommandé de limiter en pharmacie la dispensation hors prescription à deux boîtes par patient, et de privilégier la dispensation sur ordonnance. Et en cas de prescription de quantités importantes de paracétamol, il convient d’adapter la dispensation aux besoins réels du patient.
Or les dernières crises ne concernent pas les matières premières, mais les produits finis, les capacités de production n’ayant pas été ajustées suffisamment tôt pour répondre à la demande. Pour tenter d'améliorer le phénomène, l'ANSM a augmenté, à l'été 2022, le montant des sanctions applicables aux laboratoires en cas de manquement, un renforcement qui est entré en vigueur le 1er octobre. L'Académie de pharmacie, elle, regrette que, pour les médicaments anciens, chaque laboratoire détermine individuellement son planning de production : aucun acteur n’a une vision globale du marché. La plateforme TRACK Stocks, mise en place par les instances industrielles en 2019, pourrait y remédier, mais elle ne semble pas être utilisée systématiquement en cas d’alerte par l’ANSM pour avoir une vision générale des stocks. Les Sages soulignent à nouveau l'importance d'avoir une structure centralisée de coordination en matière de disponibilité des médicaments en France.