On la voit de l’extérieur, depuis le jardin, grâce aux grandes baies vitrées ouvertes pour laisser filtrer la lumière du jour dans les salles du musée. « On sait aujourd’hui que l’apothicairerie était abritée dans cette galerie à balustres depuis 1750 jusqu’à la fermeture de l’ancien hôpital », explique Patrice Moreau, conservateur du musée. À nos côtés, quelques curieux restent émerveillés par le tapis bleu et blanc des pots canons qui ornent les murs de cette salle toute en longueur. En 1995, à la suite de travaux d’aménagement du musée, l’ancienne pharmacie a retrouvé son dernier lieu d’origine, ici, sous ces grandes arcades à travers lesquelles on devine les parcelles de verdure de l’ancien jardin médicinal. Le parcours de visite respecte ainsi l’ancienne déambulation des malades, l’apothicairerie précédant la tisanerie et la salle des femmes, puis, en enfilade, la chapelle et la salle des hommes. Sous l’égide de Saint Roch, en bordure de la ville, à l’ombre des remparts, le vieil hospice a fonctionné sans interruption depuis le Moyen Âge jusqu’en 1875, date de sa désaffection. L’apothicairerie, conservée presque intacte, continue d’y évoquer une page importante de son histoire, celle du XVIIe siècle, alors que dans d’autres salles, le musée, lui, s’est émancipé de l’ancrage hospitalier, jusqu’à intégrer des collections importantes d’art contemporain qui font aujourd’hui sa réputation.
Un exceptionnel pot de monstre
Juste devant nous, posé sur un bureau, un exceptionnel pot de monstre livre sur son flanc une inscription précieuse écrite ainsi : « M. J. Perrot Le Jeune chanoyne de St Cire Maistre Administrateur de l’Ospital Dissoudun. » Enguirlandé de charmantes fleurs bleues, l’indice est clair. Grâce à lui ainsi qu’à des archives documentaires, on sait qu’un certain Jean Perrot dirigea l’hôtel-Dieu d’Issoudun entre 1646 et 1666. Patrice Moreau le souligne : « Pour cette apothicairerie, les dates sont précises, information rare qui permet d’en faire un objet patrimonial particulièrement important pour l’histoire de la pharmacie et l’histoire des faïences. » Ce qui a de quoi attiser notre curiosité car les anciennes apothicaireries conservées baignent souvent dans un flou artistique quant à la provenance des pots et à l’identité des responsables. Au centre de l’inscription, se dégage même une magnifique armoirie ornée d’un petit faune et de torsades colorées de jaune - que l’on retrouve aussi sur une série de pots un peu plus haut sur les étagères. Ce pot à thériaque ou Alkermès servait ainsi d’emblème à l’apothicaire de l’hospice. Aujourd’hui, de manière plus générale, il est utile aux historiens, comme jalon, pour dater et comprendre l’évolution stylistique de la faïence de Nevers.
Jean Perrot fit venir autour de lui un médecin, un chirurgien et un apothicaire. Ce dernier, Maître Maré, titulaire d’une officine à Châteauroux, posa ses valises à Issoudun avec son mobilier et son matériel. C’est cet ensemble exceptionnel de pots canons, chevrettes et bouteilles que l’on voit aujourd’hui. Avec également un grand alambic, un élégant mortier de bronze daté de 1497 (lui aussi affublé d’une inscription permettant de le dater précisément) et un lot de 31 silènes de bois peint représentant des roses, des tulipes, des animaux fantastiques, tout un univers floral et un bestiaire thérapeutique bien connu à l’époque grâce aux gravures des ouvrages scientifiques, tels que Monstres et Prodiges d’Ambroise Paré ou la Cosmogonie Universelle d’André Thevet. « On est au milieu du XVIIe siècle, ces silènes sont parmi les plus anciennes que l’on connaisse en France » s’enthousiasme Patrice Moreau, en nous détaillant le décor de quelques-unes. Les silènes sont des vestiges beaucoup plus rares que les faïences du fait de la fragilité du bois. On pense à celles des apothicaireries de Troyes et de Baugé. Satyres, escargots, licornes, dragons, celles d’Issoudun sont en effet magnifiques, le coup de pinceau enlevé et généreux témoigne d’une belle maîtrise de la décoration.
Un ensemble homogène et complet
Les trois murs entièrement tapissés de vieux pots en faïence enveloppent le regard. Les plus anciens, logés dans un petit coin en bas à droite d’une des grandes étagères, se repèrent facilement à leur forme et à leur coloris : cinq albarelli et une chevrette, « des pots datant de la fin du XVIe siècle, probablement de facture lyonnaise », précise Patrice Moreau. À cette époque en effet, Lyon copiait ou s’inspirait des étincelantes faïences colorées venues d’Italie.
Les autres, 373 en tout, sont en faïence bleue et blanche de Nevers, en majorité datés du XVIIe siècle, alignés sur des étagères de la même époque. Sur le cul de l’un d’entre eux, on a trouvé cette inscription qui en dit long sur le caractère à la fois précieux et utile des objets : « Ceux qui le cassent le payent. » Ici, des sœurs secondaient le chirurgien et l’apothicaire. Un passage permettait de gagner le jardin des simples rapidement et, par-derrière, l’horizon s’étendait en vastes carrés potagers alors que la rivière Théols, en bordure du bâtiment, apportait sa fraîcheur tout en servant de déversoir. « L’apothicairerie d’Issoudun présente un des ensembles les plus homogènes du XVIIe siècle, ce qui en fait une des plus anciennes de France presque au complet », abonde le conservateur, en soulignant la volonté, dès le XIXe siècle, de la conserver, initiative plutôt rare à l’époque, alors que l’hôpital réalisera aussi plusieurs dépôts au musée, notamment une officine des années 1930, avec ses étagères en bois et ses flacons en verre, visible dans une salle attenante à l’apothicairerie historique. Le parcours invite donc à une véritable histoire de la pharmacie complétée par la tisanerie-laboratoire datant de la fin du XVIIIe siècle.
Les Arbres de Jessé, trésor du musée
Aujourd’hui, le musée détient une collection éclectique allant de l’Antiquité à l’art contemporain. Les salles historiques rappellent l’histoire du lieu. Certaines conservent quelques trésors de l’ancien hôtel-Dieu, tels de magnifiques émaux de Léonard Limousin. Cette richesse, au temps où l’hospice avait reçu de nombreux dons, est en partie perdue ou dispersée, mais le parcours de l’apothicairerie jusqu’à la vieille chapelle de la fin du XVe siècle nous replonge, avec une certaine austérité, dans l’atmosphère de la vie hospitalière. Dans la chapelle, l’air froid s’engouffre au travers de deux immenses Arbres de Jessé sculptés qui s’agrippent aux parois des murs. Leur impressionnante arborescence monte jusqu’au plafond. Pour les malades et les indigents, cette vision réconfortante leur faisait probablement espérer le paradis alors qu’ils se recueillaient devant ce déploiement de pierres exceptionnel. Aujourd’hui, à l’intersection des salles des malades, ces sculptures sont toujours uniques en France. Autre témoin de l’histoire, les parcelles potagères à l’arrière du musée, auparavant propriété de l’hôpital, qui ont été récemment achetées par la commune afin de les transformer en un parc de sculptures, inauguré en février 2020. Le musée se voit ainsi agrandi, à ciel ouvert, de 5 000 m2 agrémentés de 18 sculptures des années 1950 à nos jours, permettant d’affirmer un nouvel élan dans la mise en valeur de l’art moderne et contemporain, et en particulier de la sculpture. En écho aux Arbres de Jessé, nous explique Patrice Moreau. En ce moment, une installation sculptée de l’artiste Mâkhi Xenakis occupe la salle des femmes et s’inscrit dans cette veine. Son œuvre « Les Folles d’enfer » - auparavant exposée dans la chapelle de la Salpêtrière à Paris - évoque de manière minimale et poignante les aliénées de la Salpêtrière, enfermées dans les murs de l’hôpital jusqu’à l’époque de Charcot à la fin du XIXe siècle. Épileptiques, prostituées, mendiantes, orphelines, adultères…, environ 8 000 femmes subirent un sort malheureux durant des décennies. Les silhouettes longilignes et colorées des sculptures, affublées de petites têtes rondes fragiles, forment une assemblée émouvante. Les collections du musée opèrent ainsi une filiation avec le passé, dont les trésors pharmaceutiques et religieux sont devenus des pièces d’art.
À voir, l’exposition Mâkhi Xenaki, Les Folles d’enfer à Issoudun, et l’exposition Maria Papa Rostowska, une sculptrice au cœur de la Nouvelle École de Paris, jusqu’au 30 décembre 2020.
Toute l’année, le musée est en entrée libre, rue de l’Hospice Saint-Roch, 36100 Issoudun.