- Ça fait plus de dix ans qu'il travaille ici, près de vingt ans qu'il est préparateur. Il a envie d'autre chose dans sa vie professionnelle. On peut le comprendre.
- On peut le comprendre mais ça nous met clairement dedans. Tu sais comme moi que recruter un préparateur en ce moment, c'est la croix et la bannière, répond sèchement J-C à son associée.
Après un silence, il poursuit :
- Il part quand ?
- C'est la bonne nouvelle. Son poste à l'Assurance maladie sera ouvert en septembre. Ça nous laisse le temps de trouver un remplaçant. Je pensais à la petite Lou, notre ancienne apprentie. L'avantage est qu'elle connaît notre fonctionnement.
- Elle est gentille, compétente, un peu gnangnan aussi. Mais pourquoi pas. Elle cherche du boulot ?
- Je ne sais pas où elle en est. Je vais l'appeler. Oui, entrez !
Jean-Paul entre-ouvre la porte du bureau et, avec son amabilité habituelle, demande aux titulaires :
- Je vais ouvrir la pharmacie dans cinq minutes. Masque ou pas masque pour les clients ?
- Masque, répondent ensemble les titulaires.
- On attend les directives officielles, mais vu que les contaminations repartent à la hausse et qu'on reçoit beaucoup de personnes fragiles, on conserve les masques, complète Karine.
L'adjoint referme la porte en râlant. La titulaire s'apprête à sortir du bureau lorsque son téléphone personnel vibre. Sur l'écran, le prénom Juliette s'affiche, l'ancienne adjointe de la Pharmacie du Marché désormais installée dans la pharmacie de Monsieur Thomas.
- Hello Karine. Tu vas bien ?, demande la jeune pharmacienne à l'autre bout du fil. Je te résume la situation. Je souhaite créer une antenne PHI dans notre département. Tu sais, c'est Pharmacie humanitaire internationale. Mais dans un premier temps, vu l'urgence, il s'agit juste de collecter des produits d'hygiène et de santé, genre pansements et antiseptique. C'est la Croix Rouge qui transportera ces produits jusqu'en Pologne, dans leur centre de stockage provisoire. Bref, je vous ferai passer la liste. Est-ce que la Pharmacie du Marché est partante pour se mobiliser avec nous ?
- Avec un tel enthousiasme, on ne peut que dire oui. D'autant plus que les clients nous demandent déjà comment ils peuvent aider, répond Karine.
- Quand c'est pas pour nous demander des comprimés d'iode, lance J-C d'une voix forte pour que Juliette l'entende. Salut consœur !
En fin de matinée, Karine expose à l'équipe la proposition de Juliette. Tous, sauf Jean-Paul qui estime que c'est une goutte d'eau dans la mer, adhèrent aussitôt à cet élan humanitaire.
- Et quand bien même c'est une goutte d'eau, c'est important de montrer notre soutien, lui rétorque Marion. Ce matin d'ailleurs, j'ai reçu Natasha Garnier. Je ne savais pas qu'elle était ukrainienne. Son nom de jeune fille, c'est Kravchenko. Elle est très inquiète pour sa famille. Et vous savez ce que lui a demandé son fils de quatre ans juste avant de venir à la pharmacie ?
Ses collègues la regardent, interrogateurs :
- Si c'était pour chercher des médicaments contre la guerre.
- Trop mignon, et en même temps tellement décevant d'être aussi impuissant, sourit tristement Christèle.
- Sa mère lui a répondu que non : il n'y a pas de médicament contre la guerre. Mais il y a des pansements pour faire revenir la paix.
(À suivre…)