Par le passé, que ce soit lors du passage au tiers payant, au générique, ou encore à l’informatique, les pharmaciens ont à maintes reprises donné la preuve d’une étonnante faculté à s’adapter au changement. L’année 2020 aura encore monté de plusieurs crans cette capacité, poussant parfois même la profession au bord de la rupture, tant elle a dû répondre à la fois aux sollicitations de la population et des pouvoirs publics, tout en faisant face à de réels défis économiques et financiers.
En 2020, la gestion de l’officine a été avant tout une gestion de crise. Après avoir été prises d’assaut à la veille du premier confinement, gérant la pénurie de masques et de gels, les pharmacies ont dû ensuite apprendre à fonctionner en sous-régime. Les bilans des experts-comptables tracent a posteriori cette activité en montagnes russes. Après des hausses de 20 % de leur chiffre d'affaires lors de la première quinzaine de mars, les officines ont été frappées de plein fouet, dès la seconde partie du mois, par une chute de 11 % en moyenne de leur chiffre d’affaires, certaines d’entre elles accusant même un recul supérieur à 18 % !
Apprentissages en accéléré
Un œil rivé sur leurs tableaux de bord, l’autre fixé sur l’évolution de la situation sanitaire, les titulaires ont veillé constamment, tout au long de ces mois, à la mise à jour des directives et de la réglementation. Voire aux modifications nécessaires dans l’organisation de l’officine avec une demande accrue du portage à domicile ou la délivrance de produits hospitaliers livrés à l’officine par le grossiste-répartiteur. « Les pharmaciens ont dû adopter « en accéléré » certaines pratiques et des nouveaux outils qui leur étaient inhérents », analyse Stéphanie Corre-Le Bail, directrice Santé Qualité Formation chez Giropharm. Elle fait allusion à ce marathon dans lequel les pharmaciens et leurs groupements ont été entraînés pour sourcer des nouveaux produits tels que les gels et les masques, puis, à la sortie du premier confinement, les tests sérologiques et le matériel de protection des équipes officinales… et enfin au quatrième trimestre, les tests antigéniques.
Dépositaires de l’État
« Les officinaux ont souvent enfilé plusieurs costumes par jour pour répondre à ces différentes facettes de leur métier soudain transformé par la crise », se souvient Stéphanie Corre-Le Bail, à l’observation de ses adhérents. Sans compter que les pharmaciens ont également endossé un rôle inédit, celui de dépositaire de l’État. La distribution des masques des stocks de l’État à destination des professionnels de santé libéraux, puis des patients Covid, des personnes contact et des aidants familiaux, a nécessité une nouvelle gestion pour encadrer ces nouveaux arrivages, la traçabilité de leur délivrance et leur facturation à l’assurance-maladie, selon différentes procédures en fonction du destinataire (patients ou professionnels de santé).
À noter que, acteur de la maîtrise épidémiologique, le pharmacien est devenu aussi un point nodal de l’interprofessionnalité. À la distribution des masques aux professionnels de ville s’est ajoutée, dès l’automne, la délivrance des tests antigéniques aux médecins et aux infirmiers libéraux ; des tests antigéniques que les pharmaciens ont dû se procurer eux-mêmes sur le marché pour approvisionner ces professionnels.
Gérer les fluctuations
De nouveaux modes de rémunération sont apparus au gré de ces distributions, dont certaines ont été pérennisées au-delà du premier déconfinement. Ces nouvelles sources de revenus sont venues s’ajouter aux rémunérations des nouvelles missions mises en place par les avenants 20 et 21, portant sur la dispensation adaptée et les entretiens pour les patients sous anticancéreux oraux.
Pour autant, la principale problématique des titulaires aura été de lisser les différents soubresauts pour maintenir à flot leur trésorerie tout au long de l’année. Nombre d’entre eux ont fait appel aux divers dispositifs d’aide aux entreprises mis en place par l’État : chômage partiel pour certains, prêt garanti par l’État (PGE), report d’échéances de l’emprunt et/ou des cotisations TNS. Près de la moitié ont sollicité des indemnisations accordées par l’assurance-maladie. « Les pharmaciens ont ainsi pu partiellement compenser une baisse de leur activité et faire face aux incertitudes de l’avenir, observe Carole Lejas, experte-comptable, commissaire aux Comptes, associée du cabinet Exco Valliance FP. Le PGE et les reports de remboursement de l’emprunt ont ainsi permis à certains titulaires, rappelle-t-elle, de reconstituer leur fonds de roulement mis à mal par la crise, d’améliorer ainsi leur trésorerie et de retrouver un peu de confort d’exploitation. »
« Cette année atypique avait pourtant démarré sous bons auspices, remarque l’experte-comptable. Tirée artificiellement par le haut début mars, l’activité s’est effondrée en avril à – 20 % voire – 25 % selon les typologies d’officine. » Heureusement le rattrapage qui a suivi le déconfinement et les mois de l’été permettent d’obtenir en cette fin d'année un résultat étale par rapport à 2019, estime Carole Lejas. Il n’en reste pas moins, souligne-t-elle, que la crise sanitaire risque à nouveau de s’inviter dans les bilans, sous une forme inédite, cette fois. Les effets du confinement et de l’adoption des gestes barrières — dont le port obligatoire du masque — ont en effet eu des conséquences aussi inattendues que fâcheuses sur l’économie officinale. « Les pathologies saisonnières (rhume, bronchites et gastros) qui chaque année boostent l’activité ont été les grandes absentes des deux derniers mois de l’année. À tel point que les pharmaciens risquent aujourd’hui les surstocks en produits d’automédication ! », signale Carole Lejas qui recommande la plus grande prudence à ses clients. « Prenez garde à bien intégrer ces stocks dans les précommandes de 2021, tout en veillant aux dates de péremption ! ».
Une avancée inattendue du digital
En effet, l’anticipation est plus que jamais requise dans la gestion de l’entreprise officinale. De même qu’une certaine agilité. « Les titulaires ont fait preuve d’une extrême adaptation. Ils ont été contraints de s’approprier très rapidement des nouveaux outils digitaux que la gestion de la crise nécessitait et dont ils n’avaient pas forcément usage auparavant », constate Joffrey Blondel, directeur gestion officinale chez Astera, citant le site Web, le click-and-collect, mais aussi le télésoin et le scann d’ordonnance, prémice de la e-prescription, induit par la multiplication des téléconsultations. « Ces grandes avancées nous ouvrent de nouvelles perspectives car cette conduite du changement à marche forcée a suscité des déclics très positifs, relève-t-il. Passé les tensions sur les masques, la communication avec les patients s’en est trouvée bouleversée, car les tests Covid comme la vaccination antigrippale ont rapproché la population des pharmaciens, reconnus comme professionnels de santé de proximité accessibles. » Un constat partagé par les pouvoirs publics et qui se traduit par les multiples missions confiées par l'État à la profession.
Joffrey Blondel note par ailleurs que ces acquis de la crise auront des retentissements importants sur les missions futures, entretiens pharmaceutiques ou encore gestion de la distribution des vaccins anti-Covid. Selon lui, ces dynamiques insufflées pendant l’épidémie et ces réorganisations forcées de l’officine sont également bénéfiques au management. Restera à convertir ces essais en 2021 !