Le Quotidien du pharmacien.- Comment percevez-vous vos confrères, après ces deux mois de confinement ?
Gérard Deguin. - Un peu épuisés car ils sont sur le pont depuis le début. Agacés aussi car tous les jours, on leur rajoute de nouvelles activités : masques, violences conjugales… et aujourd’hui, une gigantesque distribution de masques avec une très lourde gestion des stocks. D’où parfois un certain abattement. Sans parler des masques en GMS… Je ne suis pas opposé à la vente de masques alternatifs en grandes surfaces, mais savoir qu’elles ont mis sous le coude des stocks de masques chirurgicaux*, à un moment où tant de professionnels de santé en avaient besoin et où nous étions obligés d’ouvrir les boîtes de 50, de les toucher, pour en distribuer 24 aux médecins, c’est invraisemblable ! Et je crains que cela se reproduise avec les tests. Nous entrons en déconfinement et aucun test sérologique n’est accrédité. On part à l’aventure !
Quelle est l’implication de la profession dans le signalement des violences familiales ?
Nous n’avons pas attendu le confinement pour alerter ; nous occuper de personnes en danger est dans notre ADN. Mais je pense que notre rôle doit s’arrêter à la prévention. Nous ne sommes pas des officiers de police judiciaire.
Quel impact a eu le confinement sur l’économie des officines ?
Nous avons vécu un rush extraordinaire les deux jours avant le confinement, puis une période creuse, les patients n’allant plus chez leur médecin. Les officines avec une clientèle de passage sont plus touchées que celles des petits villages qui ont gagné une clientèle locale confinée redécouvrant la proximité. On estime la baisse de CA autour de 10 % selon les officines.
Et sur vos personnels ?
Malgré un peu d’angoisse au début, tous mes collaborateurs sont restés sur le pont. Nous avons adapté les horaires de chacun pour que tous puissent venir travailler.
Quelle fut l’attitude des clients ?
Certains nous ont remerciés d’être là. Ils ont bien compris que nous pouvions renouveler leurs ordonnances. Mais il a été difficile de les inciter à aller chez leur médecin pour contrôler diabète ou HTA… Se sachant à risques, ils refusaient d’aller en salle d’attente.
Une deuxième vague « médicale » (diabète, HTA, AVC, infarctus…) vous semble-t-elle possible ?
Oui, le risque est même peut-être plus grand que pour le Covid.
Croyez-vous à un redémarrage de l’épidémie ?
Je n’en sais vraiment rien. Notre région est relativement préservée. Les gestes barrières y sont bien compris et les gens les respectent. De plus, les clusters récents (Dordogne, Vienne) ont été très vite circonscrits par l’ARS qui a fait un excellent travail (gestes barrières + tests), comme elle l’avait fait pour le cluster apparu en mars, en Lot-et-Garonne, suite au retour de personnes infectées lors du rassemblement religieux de Mulhouse.
Comment voyez-vous le déconfinement ?
Nous attendons beaucoup de monde au début. Ce fut déjà le cas samedi 9 mai. Ensuite la fréquentation dépendra de l’activité des médecins.
La région Nouvelle-Aquitaine a créé un groupe de travail réunissant scientifiques et industriels (UPSA, Sanofi…) pour étudier la relocalisation de la production de médicaments, qu’en pensez-vous ?
Cela fait des années que nous regrettons de ne pas produire chez nous les matières premières, y compris la plus vendue : le paracétamol. Il serait bon que ces productions reviennent en Europe, sinon en France. Mais, on n’y arrivera pas seuls et cela aura un coût. C’est un choix politique et économique.
Y aura-t-il des leçons à tirer de cette crise sanitaire ?
Il le faudra. À tous les niveaux. À commencer par la cacophonie autour des masques**. On nous a menti. Les mêmes experts qui nous ont dit qu’ils ne servaient à rien sont revenus nous expliquer qu’il ne fallait pas sortir sans. C’est un discours parfaitement inaudible.
* Le lot-et-garonnais Philippe Ginestet, patron des magasins GIFI, reconnaissait le 9 mai dans « Sud-Ouest », avoir plus de 2 millions de masques en stock. Touché par les interventions de Gérard Deguin sur le sujet, il a informé l’Ordre des pharmaciens qu’il mettait à sa disposition 500 000 masques chirurgicaux.
** Gérard Deguin s’est déclaré favorable à la création d’une commission d’enquête sur la gestion des masques, en particulier par la grande distribution.