Bien que recommandée depuis 2007, la vaccination contre les papillomavirus (HPV) en France n’atteint qu’un taux de couverture de 37,4 % chez les jeunes filles de 16 ans ayant suivi le schéma complet. Bien loin de l’objectif de 80 % fixé pour 2030. Bien loin aussi de la réussite de l’Australie, qui dépasse ce taux et annonce l’éradication du cancer du col de l’utérus d’ici à deux ans. C’est dire si l’extension des compétences vaccinales des pharmaciens constitue un espoir pour améliorer la situation française. Pour l’heure, rappelle Gilles Conan, pharmacien à Amboise et membre de la communauté professionnelle territoriale de santé (CPTS) Asclépios dans le Centre-Val de Loire, il manque des textes pour que les confrères puissent vacciner la population de moins de 16 ans et prescrire les vaccins, mais il reste confiant. « Emmanuel Macron s’est engagé, le 28 février dernier, à ce que la prescription des vaccins par le pharmacien soit applicable d’ici à septembre prochain. »
Le gynécologue Philippe Descamps, chef de service au CHU d’Angers, compte sur un nouveau départ de la vaccination contre les HPV car, explique-t-il, « j’opère des cancers du col de l’utérus, je suis au bout de la chaîne, et mon optimisme quand les premiers vaccins sont arrivés a été tempéré par la résistance à la vaccination des Français ». Il ne manque pourtant pas d'arguments pour convaincre. Sur les 200 types de HPV existant, une quarantaine peut infecter le tractus anogénital et 12 sont à très haut risque. Il a pris l’habitude de s’enquérir des enfants des femmes qu’il reçoit en consultation et n’hésite jamais à aborder le sujet de la vaccination anti-HPV quand ils sont dans la bonne tranche d’âge. Et lorsque les patientes écartent le sujet parce que leur fille « n’a que 11 ans » et qu’elle ne rencontrera peut-être jamais de HPV, le Pr Descamps déroule son argumentaire.
Dépistage limité
Parce que « tout le monde rencontre des HPV au cours de sa vue sexuelle » et que dans 10 à 20 % des cas l’infection va persister et évoluer vers des lésions précancéreuses au bout de 10-15 ans ou vers un cancer. « C’est pour cela qu’on fait 30 000 conisations par an. Avec le recul de l’âge de la première grossesse, un quart des femmes qui ont subi une conisation vont être enceintes par la suite. Sauf qu’avec la conisation, il y a beaucoup plus de ruptures prématurées des membranes, et donc beaucoup plus d’enfants nés prématurés. Je dirige une maternité de 3 800 accouchements par an, je vois ça tous les jours. » C’est la raison pour laquelle il prône aussi le dépistage du cancer du col de l’utérus, recommandé entre 25 et 65 ans. « Le drame, c’est que seulement 58 % des femmes se font dépister et qu’il n’existe aucun moyen de dépistage pour les autres cancers. Ce qui nous ramène à l’intérêt évident du vaccin, aussi bien pour les femmes que pour les hommes. »
Parmi les 6 300 nouveaux cas annuels de cancers dus aux HPV en France, les cancers du col de l’utérus (3 800) ne sont en effet pas les seuls puisqu’on compte aussi 1 460 cancers de l’anus, 1 680 cancers des voies aériennes digestives supérieurs (VADS), 190 cancers de la vulve, 90 cancers du pénis, sans oublier 35 000 cas de lésions précancéreuses et 100 000 condylomes. Près d’un tiers de ces cancers HPV-induits touche des hommes. La France a finalement étendu, en 2021, la recommandation vaccinale aux garçons sur le même schéma vaccinal que les filles : deux doses pour les 11-14 ans, rattrapage en trois doses pour les 15-19 ans étendu jusqu’à 26 ans pour les hommes ayant des relations avec des hommes (HSH). « Dans les faits, personne ne peut vérifier l’homosexualité, le remboursement est donc valable jusqu’à 26 ans pour tous les hommes, précise le gynécologue. Le remboursement vaut pour l’ensemble du schéma vaccinal dès lors que la première dose a été faite dans les temps. » Donc avant 20 ans pour les femmes et avant 27 ans pour les hommes.
Arguments phares
Reste à savoir délivrer l’argumentaire au moment adéquat. En pharmacie, Gilles Conan a repéré des incontournables : lors de la délivrance de préservatifs gratuits, sur présentation d’une ordonnance pour une vaccination DTCP ou toute autre demande émanant d’un adolescent, que ce soit pour un rhume ou un traitement antiacnéique, ou même lors de la dispensation de la pilule du lendemain. Le pharmacien doit être convaincu pour être convaincant. « Il ne faut pas dire que c’est la HAS ou la société de pédiatrie qui dit que. C’est moi qui dit qu’il faut vacciner votre fille ou votre fils », ajoute Philippe Descamp avant de livrer ses trois arguments phares : aborder la coïncidence temporelle pour rassurer sur les effets secondaires, décrire « l’horreur du cancer du col de l’utérus, des conisations, des accouchements prématurés » et montrer son implication : « J’ai trois fils, ils ont tous été vaccinés contre le HPV avant même que la vaccination ne soit remboursée chez les garçons. »
Pour Gilles Conan comme pour Philippe Descamps, l'objectif d'une couverture vaccinale de 80 % d'ici à 2030 est ambitieux mais atteignable, grâce à l'extension des compétences en la matière des pharmaciens, infirmiers et sages-femmes selon les recommandations de la Haute Autorité de santé (HAS). Et grâce à la vaccination anti-HPV qui va être proposée à toutes les classes de 5e dès la rentrée prochaine. Selon Philippe Descamps, les pays où la couverture vaccinale anti-HPV est la plus forte sont ceux qui ont « implémenté cette vaccination à l'école, comme l'Angleterre, l'Australie, la Suède, le Danemark ou l'Écosse ».
D’après une conférence organisée par MSD lors du salon PharmagoraPlus 2023.
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