Le Quotidien du pharmacien. - Comment avez-vous traversé cette crise sanitaire, coiffée de votre double casquette de députée et de pharmacienne ?
Agnès Firmin-Le Bodo. - Depuis le 16 mars, et le début de cette période très étrange que nous vivons, j’ai retrouvé avec plaisir à temps plein mon activité de pharmacienne, que j'exerçais jusqu'alors en parallèle de mon activité parlementaire uniquement le samedi et le lundi matin.
Dès le lendemain du premier tour des élections municipales, j’ai été concentrée pendant plus de quinze jours sur l’activité de mon officine où il manquait la moitié des effectifs. Et depuis, en tant que chef d’entreprise, je ne me suis pas arrêtée, exerçant mon activité de députée le matin avant l’ouverture de l’officine, entre midi et deux, et le soir après la fermeture.
Je crois pouvoir dire que cette crise a permis de mettre en lumière pourquoi je suis pharmacienne : pour mon rôle de professionnel de santé et pour le lien social que nous jouons. Nous sommes acteurs dans la vie de nos concitoyens et cette crise nous a permis d’être enfin considérés comme des professionnels de santé. Nous sommes parvenus collectivement à nous affirmer en tant que tels et il faudra continuer.
Votre profession vous a-t-elle influencée dans la prise de certaines décisions politiques ?
J’ai coutume de dire que je ne fais pas de politique à la pharmacie et pas de pharmacie en politique. Cela résume ma position. Je suis capable d’écouter, de faire ma propre analyse et de forger ma conviction. Il faut sortir du débat concernant les conflits d’intérêts. Ce n’est pas parce que je reçois un laboratoire pharmaceutique que je ne sais pas faire la part des choses !
Je ne me défends pas bec et ongles par principe mais parce que j’ai des convictions. Ainsi, il m’est arrivé dans le passé de ne pas défendre toutes les positions concernant les pharmaciens, mais au cours de cette crise sanitaire, je me suis battue pour que les pharmaciens soient autorisés à vendre des masques. J’avais rappelé, du reste, il y a environ trois semaines lors des questions au gouvernement, qu’on aurait besoin des pharmacies comme canal de distribution.
Accordez-vous votre confiance au gouvernement dans la gestion de cette crise ?
Comment en tant qu’élu peut-on être dans l’opposition face à la crise sanitaire que nous connaissons ? Quel être humain aux manettes peut-il prendre une mauvaise décision concernant la santé de ses concitoyens ? Quel Homme à cette place prendrait exprès une décision pour des raisons stupidement et bassement politiques ? En matière de santé, l’heure n’est pas aux « il faut qu’on… » ou aux « il n’y a qu’à… ». On ne peut être dans l’opposition systématique.
D’ailleurs, je le rappelle, Édouard Philippe a eu l’humilité de dire sur certains points qu’il ne savait pas, qu’il s’en remettait aux sachants. Tout cela est nouveau dans le discours politique. Et par conséquent, le Premier ministre a aussi dit, « je prends ma décision et je l’assume ». Aujourd’hui, en tant qu’élue, ma position est la suivante : ne pas être dans le oui béat, mais dans l’accompagnement.
Dans la gestion des masques, le gouvernement a-t-il néanmoins pris toute la mesure de la situation délicate dans laquelle se trouvaient les pharmaciens, pris en tenaille entre leurs devoirs envers les soignants et la pression du grand public ?
Cette gestion des masques révèle toute la problématique de la position des pharmaciens. Ils sont des professionnels de santé dont le statut relève du ministère de la Santé, et ils ont démontré à cet égard une exemplarité et une discipline remarquables. Mais ils sont aussi commerçants. Or les ministères de la Santé et de l’Économie ont trop travaillé en parallèle. Le ministère de la Santé abordant le côté purement sanitaire du pharmacien, le ministère de l’Économie occultant que cet acteur de santé pouvait être aussi un canal de distribution des masques. Un canal de distribution du reste capable de dispenser des conseils sur le port du masque, de délivrer des produits de qualité et d’être un acteur dans la collecte et le recyclage de ces masques qui ne va pas manquer de poser problème.
Quel regard portez-vous sur la gestion globale de cette crise ? Eut-il fallu intégrer davantage la médecine de ville, veiller davantage à la continuité des soins, notamment en ce qui concerne les malades chroniques ?
Le débat a été soulevé entre médecins et pharmaciens, notamment en raison du renouvellement des ordonnances. C’était une décision nécessaire, mais très vite nous avons dit aux patients de retourner voir leur médecin. J’ai d’ailleurs alerté Olivier Véran sur la non-continuité des soins. Mais les patients avaient peur de retourner dans les cabinets médicaux. Paradoxalement, ils n’avaient pas les mêmes réticences concernant l’officine !
En tout état de cause, la baisse d’activité ne concerne pas seulement les médecins, mais aussi les pompiers, les urgences… Ce qui témoigne d’un renoncement aux soins, même si avec le confinement il y a eu moins de bobologie, moins de confrontation aux autres virus. Le nombre d’AVC a - officiellement - baissé comme celui d’autres pathologies : mais qu’allons-nous découvrir dans les jours suivant le 11 mai ? La médecine de ville, clairement, sera sur le pont. Ne serait-ce que parce que les médecins seront les principaux acteurs de la stratégie de déconfinement.
Les crises agissent toujours comme des révélateurs. En ce qui concerne la pharmacie, que vous aura-t-elle appris sur votre profession ?
Elle a tout d’abord révélé la solidarité entre les confrères. Je l’ai vécue dans la gestion des flacons et des masques. Des confrères se sont dépannés et ont partagé. Pour une simple raison : notre rôle est de diffuser ces stocks au maximum dans la population. Je doute que deux enseignes de la GMS concurrentes aient fait la même chose ! J’espère que cet esprit de solidarité et d’inventivité perdure car il dénote notre rôle d’acteur de santé.
En ce qui concerne l’interprofessionnalité, nous avons été capables de faire sauter des verrous. Mais il reste encore du travail à faire dans le décloisonnement ; mais attention, je ne confonds pas avec la délégation de taches. Je suis très vigilante pour que la distinction soit faite.
Enfin, s’il est trop tôt pour dire que le regard a changé sur la profession, ce que je sais, c’est que jamais les patients ne m’avaient autant dit « bon courage ». Comme s’ils avaient conscience du rôle qui est le nôtre, voire des risques que nous prenons. Ils nous ont apporté des crêpes, des bouquets de fleurs, du muguet au 1er mai…
Pensez-vous que les pharmaciens doivent prendre part activement au déconfinement, notamment en pratiquant des tests PCR à l’officine ?
Nous devons forcément être partie prenante dans le déconfinement. De là à dire que nous devons participer aux brigades sanitaires, je pense que nous ne pouvons pas être à la fois dans et hors de l’officine, même si cela m’intéresserait personnellement beaucoup. Je pense que nous détenons un rôle de donneur d’alerte et que nous pourrons travailler avec les brigades, comme un maillon dans la chaîne entre elles et les médecins. Nous devrons rester vigilants. Par exemple, si une personne vient chercher une boîte de Doliprane tous les trois jours, ou encore en proposant la téléconsultation. L’interprofessionnalité, et tout particulièrement les liens avec les médecins, vont s’en trouver renforcés.
En ce qui concerne les tests PCR, je ne suis pas opposée par principe à ce que nous les pratiquions. Pourvu que ceux-ci soient fiables. Il faudra déterminer à qui ils s’adresseront. Je pense par exemple que nous pourrions les effectuer auprès des personnes contact. En tout état de cause, nous devons continuer à prendre la place qui est la nôtre, positionnés plus que jamais en tant qu’acteurs de santé.
Certaines missions officinales mises en place dans l’urgence pendant le confinement, telles l’IVG médicamenteuse ou l’accueil des femmes victimes de violences conjugales, ou encore le télésoin, devraient-elles perdurer selon vous ?
Pour le télésoin, auquel je suis plutôt favorable, il faudra le développer avant de le pérenniser ! Il sera envisageable sous certaines conditions et dans certaines situations et devra être cranté dans le temps pour démontrer sa véritable valeur ajoutée.
En ce qui concerne l’IVG médicamenteuse et l’accueil des femmes - et même des hommes - victimes de violences conjugales, je suis tout à fait pour que ces deux missions perdurent, avec les évaluations nécessaires bien entendu, après la crise sanitaire. J’y suis d’autant plus favorable que ces deux dispositifs donnent des chances supplémentaires aux intéressées. Le pharmacien est la personne à laquelle on s’adresse en priorité. En tant que pharmacienne, j’ai déjà été confrontée dans mon exercice à ces cas de patientes, y compris un jour de garde, et j’aurais été heureuse d’avoir de tels dispositifs à ma disposition pour pouvoir mieux les accompagner !
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