Le Quotidien du pharmacien.- Vous avez récemment abordé le sujet du calcul de la rémunération du pharmacien au travers de l’excédent brut d’exploitation et du bénéfice net. Comment, selon vos observations, ces deux données économiques ont-elles évolué sur les dernières années ?
Philippe Becker. - Tout d’abord, et ce n’est pas une surprise, toutes les pharmacies n’ont pas le même niveau de rentabilité, qu’il soit brut ou net. Les pharmacies rurales font la course en tête depuis plusieurs années et, selon une première estimation, elles pourraient augmenter leur avance par rapport aux autres en 2020 et 2021.
Est-ce l’effet Covid ?
Philippe Becker. - On peut dire cela ainsi. Il y a dans cette crise sanitaire des perdants et des gagnants et le contexte a permis aux officines rurales et de quartier de développer leur chiffre d’affaires, et par conséquent leur rentabilité, au détriment de celles situées dans les hypercentres-villes et les zones à fort passage. C’est d’ailleurs ce que nous anticipons dans l’estimation pour 2020 que nous pourrons confirmer sur la base de notre étude annuelle, à paraître dans quelques mois. Attention, toutes les officines rurales ne sont pas à la fête : celles qui se situent en stations de ski auront eu une fin d’année difficile !
Quels sont les facteurs qui influent sur la rentabilité brute et nette d’une pharmacie ?
Christian Nouvel. - A chiffre d’affaires constant, le premier facteur est la marge brute dégagée par la pharmacie sur tous les types d’activités, le second facteur est la masse salariale chargée et enfin le troisième, ce sont les frais fixes, dont principalement le loyer. Ce sont les trois paramètres sur lesquels un pharmacien peut potentiellement agir pour faire bouger de manière significative sa rentabilité et cela lorsque l’on raisonne sur les pourcentages ramenés au chiffre d’affaires hors taxes. Les frais financiers qui pesaient lourd il y a encore six ou sept ans ont une incidence négligeable aujourd’hui du fait de taux d’intérêt très bas.
Les résultats ne sont-ils pas différents en valeur absolue ?
Christian Nouvel. - Absolument, le classement n’est pas le même si l’on regarde les valeurs absolues. La pharmacie de centre commercial se détache nettement des trois autres typologies. Si sa rentabilité en pourcentage est plus faible du fait des sujétions relatives aux amplitudes d’ouverture et des coûts du loyer, en contrepartie son haut niveau d’activité lui donne un avantage en euros.
C’est d’ailleurs la raison pour laquelle ces officines, qui ont été et qui sont encore particulièrement touchées par la pandémie, seront en net recul sur leur rentabilité en valeur relative et en valeur absolue ! Lorsque le modèle économique est basé sur le passage, il ne faut pas que le patient ou le client soit confiné ou en télétravail…
Ce constat sera l’une des leçons de cette crise sanitaire !
Philippe Becker. - C’est exact mais il faut aussi regarder les événements avec une certaine perspective : nos concitoyens ont envie de retrouver leur vie d’auparavant. Et c’est probablement un mauvais moment pour certaines pharmacies mais qui ne durera pas !
Finalement la rémunération brute et nette est assez stable depuis cinq ans : pas de bonnes ni de mauvaises surprises. Est-ce à dire que l’optimum a été atteint ?
Christian Nouvel. - Les deux éléments qui pourraient améliorer le quotidien des pharmaciens à court terme s’appellent activité (ventes et missions) et marge sur le remboursable et le « hors monopole ». Sur ce plan, les officinaux sont challengés depuis de nombreuses années sur le prix des médicaments et plus généralement sur leurs marges sur le « remboursable ». Rien n’indique que les pouvoirs publics vont changer de logique dans le futur. Aujourd’hui le pharmacien est utile car il fait des tests Covid, des vaccinations, mais s'en souviendra-t-on dans deux ans ? La variable d’ajustement restera le médicament, car politiquement on ne touchera pas à l’hôpital pendant les cinq prochaines années.
On peut constater une grande différence entre l’EBE et même le bénéfice net si on les compare à la rémunération moyenne annuelle du cogérant d’une société de pharmacie. Les officinaux sont-ils des fourmis ?
Philippe Becker. - La rémunération à percevoir par un pharmacien qui dépend, comme nous l’avions déjà expliqué, de la rentabilité brute (EBE), mais aussi de son endettement, de ses charges sociales personnelles et de sa fiscalité, est restée stable. En tout cas pour ceux qui exercent en association. C’est le signe d’une grande « maturité » professionnelle face au contexte économique. Ces chiffres illustrent aussi très bien l’importance de choisir le bon prisme lorsque l’on évoque les revenus du pharmacien. De quoi parle-t-on ? De la rentabilité de l’officine qui permet de faire face aux engagements et d’investir ? Ou de l’argent tiré chaque mois de son exercice professionnel ?
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