LE VISAGE de l’officine française est en passe de subir de profonds changements. Sur le plan de la rémunération d’abord. En 2014, si tout se passe comme prévu, une part d’honoraires se mettra en place progressivement, en complément de la marge commerciale. C’est d’ailleurs tout l’enjeu des négociations entamées avec l’assurance-maladie le 19 mars dernier et qui devrait s’achever le 21 mai. La réforme du mode de rémunération devient nécessaire compte tenu de l’évolution du marché pharmaceutique (voir encadré). « Le modèle fondé sur les volumes et les prix n’est plus adapté », explique Philippe Gaertner, président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF), à l’occasion de la première matinée thématique organisée par le Collège des économistes de la santé*. Les mesures de baisses tarifaires et de maîtrise médicalisée qui se sont succédées ces dernières années ne sont, en effet, pas sans conséquence sur les revenus des officines. « L’évolution de la marge réglementée est stable depuis quelques années. Mais, auparavant, et jusqu’à 2005, elle progressait chaque année », souligne Philippe Besset, vice-président de la FSPF, chargé de l’économie de l’officine.
De nouvelles façons d’exercer.
Au-delà du mode de rémunération, l’exercice professionnel devrait également être profondément transformé d’ici à quelques mois. L’accompagnement de patients chroniques (notamment les malades sous AVK, puis les asthmatiques) et les entretiens pharmaceutiques prévus par la convention vont donner de nouvelles missions au pharmacien, jusque-là cantonné à son rôle de dispensateur de médicaments.
Autre changement engagé, celui du mode d’exercice. En effet, les exploitations individuelles diminuent au profit de l’association, en particulier des sociétés d’exercice libéral (SEL). En 2011, elles étaient même devenues la première structure juridique utilisée par les titulaires, selon les chiffres de l’Ordre des pharmaciens. La publication du décret sur les sociétés holdings (SPF PL), que l’on annonce prochaine, devrait encourager encore un peu plus le développement de ce type d’exercice.
Plus globalement, le modèle officinal à la française est aujourd’hui confronté au changement. Car, autour de nous, les lignes bougent : le nombre de pays dans lesquels les chaînes de pharmacies se développent augmente, tout comme le nombre de ceux autorisant la vente de médicaments en dehors des officines ou par correspondance. La France elle-même vient de décider d’accepter, de façon encadrée, le commerce en ligne de spécialités pharmaceutiques.
Un modèle artisanal.
Jusqu’à présent, « la France a choisi un modèle de la proximité et de la qualité, un modèle artisanal », souligne Claude Le Pen, professeur à l’université Paris-Dauphine. Un modèle qui, rappelle l’économiste de la santé, a reçu le soutien de l’Europe. En effet, toutes les procédures d’infraction engagées par la cour de justice européenne ont été abandonnées. Quoi qu’il en soit, « la pharmacie européenne évolue vers un modèle capitalistique intégré, observe Claude Le Pen. Certes, les officines doivent faire des efforts de productivité, mais un réseau de pharmacies est également essentiel pour faire face aux menaces, telle la contrefaçon. Il ne faut pas opposer les deux modèles. »
Très attachée aux trois piliers de l’officine**, la présidente du Conseil national de l’Ordre des pharmaciens, Isabelle Adenot, fait remarquer que les chaînes s’installent rarement dans les campagnes et que certains pays ayant fait ce choix ont aujourd’hui des médecins propharmaciens, faute d’officines de proximité. Et de rappeler que le modèle français n’est pas une exception dans l’Union européenne. « Oui, il y a des restrictions, mais c’est pour des raisons de santé publique », insiste la présidente de l’Ordre. Certes, mais « la France est la seule à cumuler les trois », indique Claude Le Pen, tout en faisant remarquer qu’il n’a rien contre ce principe. « Tous les services médicaux n’ont pas la même nécessité de proximité, mais la pharmacie, oui », estime-t-il. Il ajoute : « Pour vendre des médicaments, on peut faire mieux que l’officine. Mais pour la dispensation, l’accompagnement et le conseil aux patients, on ne le peut pas. » Joaquim Fausto Ferreira, président d’Alliance Healthcare France constate, pour sa part, que la dérégulation du système est loin d’apporter les effets escomptés. Au Portugal, illustre-il, le monopole a été ouvert à d’autres canaux de distribution, avec l’objectif de proposer aux patients des produits moins chers. Résultat, la consommation de médicaments a augmenté et les prix n’ont pas baissé.
Quelles options seront retenues en France ? Difficile de répondre à cette question pour le moment. Une chose est sûre, poussé par le contexte économique et la nouvelle convention pharmaceutique, le modèle officinal français est à l’aube de changements profonds. Faut-il en avoir peur ? « Inutile, affirme Olivier Bugnon, professeur à l’université de Genève et de Lausanne. Car vous aurez la peur, et vous n’éviterez pas le changement. » Il poursuit : « Il faut arrêter la sinistrose. Il existe plein de belles opportunités pour la pharmacie d’officine. » L’avenir le dira.
**Monopole de dispensation, réserve du capital aux pharmaciens, loi de répartition démogéographique.
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