DEPUIS le 1er janvier, pour 25 euros par an, Univers Pharmacie propose au patient de rester connecté à son pharmacien. Le programme Premium lui offre pêle-mêle, contre abonnement annuel, un suivi santé individualisé, des informations par « appui » sur iphone, ipad et android, ainsi que des alertes gastro et grippe. Sans oublier les testings de divers laboratoires, ou encore 10 % de réduction sur la para. Mais surtout Premium inclut le prépaiement forfaitaire de l’honoraire pour toute une année d’achats de médicaments de PMF remboursables. Un programme aussi généreux que controversé.
Mais Daniel Buchinger, président d’Univers Pharmacie et initiateur de ce programme, ne se laisse pas démonter. Il promet Premium à un bel avenir, et demande aux 160 titulaires de son groupement, de convaincre 15 % de leurs patients d’y souscrire d’ici à la fin de l’année. Un chiffre que le titulaire alsacien affirme tirer des pratiques de la Suisse, de la Belgique et du Canada. Des pays où l’honoraire est déjà en place et où le fondateur d’Univers Pharmacie dit puiser son inspiration. Sauf que… dans ces pays, il n’est aucunement question de dispense d’honoraire.
Un très mauvais signal.
La référence à son pays fâche même Alain Chaspierre, secrétaire général de l’Association des pharmaciens belges (APB). Elle discrédite, selon lui, les efforts entrepris par la profession pour faire admettre l’honoraire comme la prestation intellectuelle du pharmacien. Depuis le 1er avril 2010, les pharmaciens belges perçoivent un honoraire de 4 euros par boîte dispensée, qui constitue 82,2 % de leur rémunération. Les 17,8 % restant correspondent à la marge commerciale liée au prix du médicament, dont la tendance, à l’instar des autres pays européens, est à la baisse. « En revendiquant l’honoraire, notre objectif a été de démontrer notre plus-value et, parallèlement, de permettre la stabilité économique de l’officine », expose-t-il, précisant que cet honoraire est indexé à l’indice des salaires du pays.
Une dispense de l’honoraire est selon lui un « très mauvais signal ». « Elle revient à dire aux autorités que nos services « ne valent rien », alors même que nous sommes en train de prévoir l’introduction de nouveaux services en pharmacie », s’insurge-t-il. Pour les pharmaciens belges, cette idée venue de France « donne le message que notre prestation intellectuelle peut être bradée ».
En Suisse, l’initiative d’Univers Pharmacie ne rencontre pas davantage d’écho. La dispense de l’honoraire, pratiquée par une seule chaîne, a disparu définitivement du paysage de la pharmacie helvétique le 1er janvier dernier. Certes, cette dispense d’honoraire perçu pour une prestation remboursable n’était pas exactement superposable à l’offre d’Univers Pharmacie. N’empêche. Après quatorze ans d’escapade, la chaîne Sun Store est rentrée dans le rang. Elle impose désormais dans ses 100 officines « la taxe », comme sont communément appelés les forfaits de rémunération de la prestation des pharmaciens (RBP) en vigueur dans tout le pays. La structure tarifaire des pharmacies suisses repose en effet, depuis 2001, sur deux honoraires : la validation du médicament et la validation du traitement. La première, rémunérée à hauteur de 4 points tarifaires, soit 4,10 euros, par ligne, porte sur la vérification de l’ordonnance et des interactions, sur le contrôle des risques, le conseil au patient et le choix économiquement optimal du conditionnement. La seconde, qui ne peut être facturée qu’une fois par patient et par jour, est payée 3 points tarifaires, soit un peu plus de 3 euros par ordonnance. Elle concerne essentiellement la tenue du dossier patient et son interprétation.
Un mix défavorable.
La précision de ces cahiers des charges prouve à quel point les Suisses comme les Belges ont négocié leur honoraire à l’aune d’une prestation intellectuelle. C’est la raison pour laquelle ils le défendent aujourd’hui avec autant de véhémence. La « dispense » d’honoraires n’est pas seulement jugée vexante pour la profession. L’exemple de Sun Store démontre à quel point elle est aussi risquée pour l’équilibre de l’officine. Car, loin d’être déontologique, la cause du revirement de Sun Store est avant tout économique. Comme l’explique Dominique Jordan, pharmacien et ancien président de PharmaSuisse (l’organisation principale des pharmaciens suisses), la décision de Sun Store est une conséquence de la baisse constante du prix du médicament. Dans le passé, d’autres chaînes, tentées elles aussi de s’engager sur la voie du « rabais », avaient rapidement fait marche arrière. Sun Store, dernier bastion à tomber, s’est fait elle aussi prendre à son propre piège. C’est du moins ce qu’analyse Dominique Jordan : « À l’origine, la chaîne réalisait une part importante de sa marge sur d’autres produits que le médicament. Or sa politique de « rabais » (la dispense de la taxe NDLR) a attiré des clients du côté du médicament, où la marge est réduite. » Résultat, « le mix de leurs produits est devenu défavorable », constate Dominique Jordan.
Résistance québécoise.
La mésaventure de Sun Store serait-elle révélatrice ? À trop vouloir jouer de l’honoraire, les pharmaciens se seraient coupé les ailes. De l’autre côté de l’Atlantique, les officinaux ne se risquent pas à ce jeu. Actuellement les pharmaciens propriétaires, comme se dénomment les titulaires indépendants au Québec, en seraient plutôt même à lutter pour la survie de leur honoraire mis à mal par un projet de loi. Les pharmaciens perçoivent un honoraire pour les services rendus aux assurés du régime public. C’est l’une des deux composantes de la rémunération, avec la marge commerciale sur le prix du médicament, laquelle sert à payer les frais d’exploitation de la pharmacie (coût de la main-d’œuvre, loyer, etc.). Le pharmacien doit obligatoirement facturer ses services aux tarifs fixés par le gouvernement.
Ainsi dans la Belle Province, pas davantage qu’en Suisse ou en Belgique, il n’est pas question d’« offrir » l’honoraire. Et pour cause, comme le souligne Pierre-Yves Séguin, conseiller à la recherche et aux affaires publiques de l’association québécoise des pharmaciens propriétaires (AQPP), les pharmaciens du Québec ne peuvent exempter les patients de l’honoraire, quand bien même ils le voudraient, pour la simple raison qu’« ils le facturent systématiquement à la Régie de l’assurance-maladie du Québec ».
Les seuls cas où les honoraires peuvent être modulés concernent les médicaments délivrés aux patients affiliés à une assurance-maladie privée. Ce régime permet la seule entorse possible au pharmacien, en terme d’honoraire. Il peut en déterminer le montant en fonction du service rendu et des frais d’exploitation de sa pharmacie, pour peu qu’il respecte la loi sur la concurrence.
Précurseur pour avoir été introduit dès 1972, ce modèle de rémunération vacille aujourd’hui devant un projet de loi. Celui-ci menace de couper le volume des honoraires de 177 millions de dollars (124 millions d’euros). Ce qui reviendrait à 100 000 dollars (70 000 euros) de perte par officine. En guise de consolation, le gouvernement propose d’introduire trois nouveaux actes médicaux pour un budget de 14 millions de dollars. Plus qu’un enjeu, l’honoraire est devenu une monnaie d’échange. Un troc entre pharmaciens et gouvernement, dont restent cependant exclus les patients.
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